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Les passeurs de Livres de Daraya – Delphine Minoui

Récit : Ce livre témoigne de cette incroyable histoire d’une bibliothèque montée clandestinement au cœur de la cité assiégée de Daraya en Syrie et rétablit la vérité sur ce que fut vraiment la situation de ces hommes et femmes qui résistèrent à Bachar al-Assad.

Thèmes : insoumission, résistance, pouvoir du livre et de la lecture, liberté

Delphine Minoui - Les passeurs de livres de Daraya

Plonger dans ce récit, c’est regarder le monde d’aujourd’hui tel qu’il est : capable du pire comme du meilleur.

Mais c’est aussi comprendre la phrase d’Edmond Charlot écrite en arabe et en français sur la vitrine de sa librairie de prêt à Alger : “Un homme qui lit en vaut deux” (qu’on retrouvera dans le livre Kaouther Adimi “Nos Richesses”)

Résumé

A la suite du printemps arabe (2011), la contestation syrienne va faire l’objet d’une implacable répression. Sous prétexte de lutter contre les terroristes d’al Nostra ou de Daesh, Damas va tenter d’éradiquer toute rébellion notamment dans la banlieue de Daraya qui a le mauvais goût de lui résister. Entre 2012 et 2016, il va assiéger impitoyablement cette localité et ses 1000 derniers habitants qui vivront sans discontinuer sous les lâchers de bombes barils, le gaz sarin et même le napalm. Affamés, assiégés, survivre est la première des urgences et pourtant au milieu des ruines, 40 de ces jeunes révolutionnaires insoumis vont entreprendre de collecter sous les décombres plus de 15.000 ouvrages pour les sauvegarder et les rassembler dans une bibliothèque souterraine.

 

Daraya - Les passeurs de livres

 

Cette région du monde étant devenue inaccessible, on doit ce témoignage exceptionnel à Delphine Minoui qui réussit à établir une connexion chaotique avec ces jeunes insurgés via Skype et qui va, semaine après semaine, suivre et partager leur folle entreprise de résistance.

Ce petit milliers de résistants qui refusent toute forme de domination politique ou religieuse, qui ne veulent pas plus du “Moi ou le chaos” de Bachar al-Assad que de Daesh, créent ainsi leur propre voie de résistance.

Dans une ville qui n’avait jamais eu de bibliothèque auparavant, et où seuls les ouvrages de propagande du régime en place avaient droit de cité, cette bibliothèque va être une révélation fabuleuse pour ces jeunes qui ne lisaient pas. Désormais une porte est ouverte vers d’autres mondes, d’autres idées. Ils vont ainsi découvrir tout ce qu’on leur cachait et là, au cœur de l’enfer, affirmer la nécessité d’en apprendre le plus possible, d’échapper au quotidien, mais aussi de préparer l’avenir, de réfléchir.

Dans cette bibliothèque de fortune, des cours s’organisent, certains s’inscrivent même à des cours par correspondance, on apprend l’anglais, on échange et on se parle de ce que contiennent ces livres.

Même ceux pour lesquels la radicalisation aurait pu être une tentation, faute d’espoir, finissent par basculer du côté de la raison grâce à ce que leur révèlent les livres.

Ahmad un des fondateurs de la bibliothèque - source ©Malek BBC

Daraya - les passeurs de livres 2

Daraya - Lire sous les bombes source ©BBC

La bibliothèque cachée des résistants de Daraya

 

“Je ne pouvais ni lire ni étudier depuis le début du siège à Daraya. Avec des jeunes qui comme moi avaient dû arrêter leurs études, et des jeunes diplômés, nous avons eu l’idée de récupérer les livres qui se trouvaient sous les décombres des maisons démolies. Nous avons pris soin de noter dans quelles maisons détruites, ils ont été retrouvés afin d’identifier leurs propriétaires. Une fois la guerre finie, si on nous les réclame, nous pourrons les rendre à leurs propriétaires. Nous avons aussi récupéré des livres qui n’ont pas brûlé dans les bibliothèques et librairies de la ville. C’était pour nous une façon de sauver notre patrimoine culturel.”

Delphine Minoui, jeune journaliste française installée en Turquie et spécialiste du Moyen-Orient va par hasard tomber sur une page Facebook où s’affiche une photo de cette étrange bibliothèque qui semble n’avoir aucune fenêtre dans une ville assiégée par les bombes. Elle va alors se démener pour établir une connexion via Skype et WhatsApp, un pont virtuel avec ces jeunes combattants pour comprendre, ce que c’est, leur action, leur vie et la situation là-bas.

Grâce à Delphine Minoui, on accompagne Ahmad, Hussam, Shadi, Omar et les autres à travers ces terrifiantes et sanglantes années de siège dans cette banlieue de Damas qui, bien que détruite à 90%, continuera de résister jusqu’en 2016, date de leur évacuation forcée.

Un adjectif qui résume le livre

Poignant et en même temps porteur de tellement d’espoir. Poignant par ce qu’il révèle de la situation de ce peuple tout en insufflant que l’espoir existe même dans les situations les plus extrêmes.

 

Ce que j’en pense

Un témoignage précieux, tant ce qu’il livre est à la fois terriblement humain et universel. C’est un regard unique sur cette effroyable guerre civile syrienne où la communauté internationale n’a pu que démontrer sa totale incapacité à s’opposer à la barbarie de Bachar al-Assad.

C’est aussi la confirmation de cet incroyable pouvoir qu’ont les livres : celui de sauver les âmes même au cœur du plus noir des enfers.

Omar, l’un de ces jeunes combattants se sera même constitué sa petite bibliothèque personnelle sur la ligne de front, pour pouvoir à la fois rattraper le temps perdu et préparer l’avenir, accéder à de nouvelles idées, réfléchir, se projeter pour soi et son pays.

 

lecture sur le front de Daraya_ Ahmad - source ©livreshebdo

Omar et certains combattants emportent des livres sur la ligne de front

 

“La bibliothèque m’a ramené à la vie. De la même manière que le corps a besoin de nourriture, l’âme a besoin de livres.” 

“On peut détruire une ville mais pas des idées.”

Cette bibliothèque secrète devient un symbole de résistance, d’éducation et d’intégration. Car ils ne lisent pas seulement des ouvrages liés à l’histoire ou la littérature du monde arabo musulman mais aussi des livres de développement personnel à l’américaine, Paulo Coello et de la littérature occidentale et c’est ce qui est le plus étonnant. Ils dévorent littéralement les ouvrages, avides d’apprendre ce monde qu’on leur dissimulait. Et quand les heures les plus sombres arriveront, les livres de rescapés d’autres conflits les aideront à trouver du réconfort et la force de continuer à se battre. Les livres les font sortir de leur isolement, non seulement du reste du monde, mais leur permettent aussi de se retrouver entre eux pour parler d’autres choses que de cette guerre.

L’histoire montre que les détracteurs ou les pessimistes qui avaient prédit la mort du livre avec l’avènement du numérique n’avaient pas conscience de la puissance de la relation qui existe entre les êtres humains et ces “blocs de papier imprimés”. Un lien quasi organique qui traverse les siècles, que rien n’entame si ce n’est le défaut d’avoir été intelligemment initié à leur fréquentation. Quelque part c’est réconfortant !

Ce que m’a apporté ce livre

Tout d’abord je tiens à remercier steph_croqueuse_de_livres, incroyable instagrameuse littéraire qui met une passion, une énergie et un cœur sans équivalent à défendre les œuvres qu’elle aime et en lesquelles elle croit, et qui m’a donné la chance de découvrir ce livre en me l’offrant pour que je devienne à mon tour un de ces passeurs, pour que cet ouvrage circule auprès du plus grand nombre.

Dans mes intentions 2018 (que j’ai listé sur mon autre blog), il y a entre autre chose l’idée un peu folle de lancer une bouteille à la mer. Je ne savais pas que ce serait ce livre, mais il s’est imposé comme tel. Une évidence !

L’idée que les livres, la littérature sauve est certainement l’une de mes plus fortes convictions ! C’est pourquoi ce livre trouve un tel écho en nous, lecteurs, au delà de la tragédie humaine qu’elle nous rapporte. Lire c’est se donner la possibilité de s’ouvrir, d’avoir accès au monde, de gagner sa liberté (au moins intérieure), de renaitre, de s’émanciper, de grandir.

Ces hommes nous démontrent que si les livres ont cette force, nous y avons d’autant plus facilement accès, nous qui avons la chance d’avoir des médiathèques, des bibliothèques, des librairies, des éditeurs libres de leurs choix et des auteurs créatifs aux opinions, sensibilités et centres d’intérêt pluriels.

Dans une civilisation qui sombre sous la montée des obscurantismes et des excès en tous genre, le livre devrait circuler plus que jamais et pourtant c’est aujourd’hui une marchandise assez élitiste et très chère (en témoigne mon dernier ticket de caisse à la librairie en bas de chez moi Déçu).

Alors lisons mais continuons aussi de partager le plus possible cette passion, qu’elle contamine un maximum de personnes à se rendre dans nos belles bibliothèques, puisqu’on a cette chance École

Je termine sur cette citation tellement explicite :

“Le livre ne domine pas, il donne. Il ne castre pas, il épanouit.”

 

Les passeurs de livres - Delphine Minoui

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LES PASSEURS DE LIVRES – DELPHINE MINOUI – EDITIONS DU SEUIL

4 Comments

  • Laetitia

    Quel superbe article! Vraiment! Il ne nous donne qu’une envie: lire cette oeuvre! Vous êtes donc une belle passeusse et réussissez par là-même à rayer de votre liste un de vos objectifs 2018.

    PS: je vous suis sur Instagram. Merci pour votre chronique de ce matin (samedi 17/02).

    • Emma

      Oh merci vraiment, Laetitia !!♥
      Tant mieux si ce livre peut ainsi continuer sa route le plus loin possible…
      Mais l’objectif de la liste n’est pas encore rempli, j’ai trouvé la bouteille, il faut maintenant essayer la faire voyager le plus loin possible 😉

    • Emma

      Bonsoir Manon !!
      Oui ça l’est complètement !
      Franchement je pense que c’est un des bouquins à avoir lu cette année, quelque soit le style de littérature que l’on aime, car il touche à quelque chose d’universel et puis surtout est-ce qu’on peut ignorer ce qui s’est passé à Daraya ? Je suis heureuse d’avoir pu en apprendre plus sur cette tragédie, de ne pas être restée dans ma crasse ignorance … car on n’oubliera jamais cette histoire 🙂

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