Hala-Kodmani-Seule-dans-Raqqa.
Non classé

Seule dans Raqqa – Hala Kodmani

Hala Kodmani a mené l’enquête sur Nissan Ibrahim, jeune syrienne d’origine Kurde, qui relate sur sa page Facebook les événements dans sa ville de Raqqa (qui deviendra temporairement la capitale de l’organisation l’Etat Islamique), depuis la révolution du Printemps Arabe à l’arrivée de Daesh . C’est en fait un témoignage bouleversant de ce qui s’est passé là-bas.

Thème : Guerre, révolution, Syrie, liberté, Etat Islamique

 

Seule dans Raqqa - Hala Kodmani

 

Résumé de l’éditeur

 

Syrie, 2011. Prise en étau entre les exactions d’un dictateur et la barbarie de l’État islamique, Raqqa souffre en silence. Sur Facebook, pourtant, une jeune femme prend la plume. C’est une résistante, une intellectuelle, une amoureuse. Elle raconte l’enfer d’un peuple, son quotidien de combats, de terreurs – son espoir aussi. Le symbole d’une ville, d’un pays tout entier. Antigone moderne, elle en partagera le destin : dénoncée en 2015, elle mourra exécutée dans les geôles de Daech.
Journal de bord et testament, Seule dans Raqqa est plus qu’un témoignage : un chant de liberté.

Nissan est devenue un symbole : celui d’une Antigone dans une Syrie déchirée.

Hala Kodmani est une journaliste franco-syrienne, grand reporter pour Libération. Elle a gagné en 2013 le prix de L’Association de la presse diplomatique française (l’APDF) pour sa couverture de la situation en Syrie. Elle est l’auteur de La Syrie promise (2014) et la traductrice Du despotisme d’Abd al-Rahmân (2016), chez Actes Sud.

 

2 adjectifs qui résument le livre

 

Glaçant car on comprend mieux comment ces hommes profitent de la confusion, de la liesse ou même du défaut d’attention pour infiltrer discrètement une population pour ensuite prendre brutalement le pouvoir et étendre très rapidement leur puissance.

 

Emouvant comment cette jeune femme, élevée par un père assez peu conventionnel, qui adorait ses filles et leur a enseigné un islam instinctif, symbole d’amour de son prochain. D’abord effacée, elle nous fait partager ses joies, ses espoirs, ses révoltes, ses colères, ses cris du cœur, sa tristesse et son humour cynique pour finir par avoir envie de se battre comme une lionne pour ses idées, sa liberté alors que la plupart des militants hommes ont fuit pour sauver leur vie.

 

Ce que j’en pense

 

Qualifiée de journal moderne d’Anne Frank, la page Facebook de Nissan Ibrahim (son pseudo), jeune professeur de philosophie, née à Raqqa de parents immigrés Kurdes et amoureuse de son pays, est un témoignage inoubliable et terrifiant de la situation géopolitique de la Syrie entre 2011 et 2015. Elle y relate en effet la bataille pour la libération de sa propre ville après le Printemps Arabe qui va mettre fin à la tyrannie de Bachar-Al-Assad, puis le rapt inattendu par l’Etat Islamique qui tue tous leurs espoirs de liberté.

En 2015, Hala Kodmani apprend la mort de Nissan avec stupéfaction car elle était en contact avec des dizaines de jeunes militants et n’en avait jamais entendu parler. Elle veut alors comprendre le destin tragique de cette jeune femme effacée que rien ne prédestinait à mourir pour son engagement.

J’avoue que je me tiens assez éloignée de l’actualité, je n’écoute pas les bulletins d’informations beaucoup trop anxiogènes à mon goût et qui de toute manière se cognent à notre impuissance. C’est un choix mais cela ne m’empêche pas de suivre de loin ce qui se passe dans le monde et j’aime autant lire un livre qui m’apporte un véritable éclairage sur ce qui se passe, que de perdre mon temps à suivre une information fragmentée et que l’on dilue à l’infini pour pouvoir la passer en boucle de différentes manières.

C’est pour ça que j’ai tellement été touché par ce livre car en suivant Nissan on appréhende enfin ce qui s’est passé. Et c’est glaçant, terrifiant de comprendre comment procèdent ces hommes de Daesh pour infiltrer les cités et s’en emparer. Raqqa est la première ville Syrienne a réussir en 2013 à se libérer des 40 ans de tyrannie de Bachar, 2 ans après le printemps arabe (2011) et il ne faudra pas une saison pour que, dans l’ivresse de cette nouvelle liberté, de petits groupes d’hommes investissent discrètement la ville sans attirer l’attention, rendent service à la population pour ensuite la mettre sous son joug et planter victorieusement leur drapeau noir frappé de la profession de foi musulmane en haut de tous les plus hauts bâtiments en signe de conquête.

 

“Au début de la révolution, on avait caché les livres religieux de mon père par peur des perquisitions du régime et maintenant ma mère me demande de cacher mes livres de philo à cause de Daech … Vive la liberté ! – 12 juin 2014”

 

On découvre comment leur puissance et leurs moyens financiers leur attirent de jeunes recrues, quand la peur suffit à paralyser les velléités de rébellion des autres, en exposant sur la triste place du rond point “Paradis” (rebaptisé “De l’enfer”), les corps décapités ou crucifiés de ceux qui ont contrevenu au nouveau pouvoir imposé. Car c’est un islam radical, d’un autre siècle qu’ils prétendent réhabiliter avec des punitions physiques et des sanctions moyenâgeuses pour le peuple tout en abordant une arrogance ostentatoire qu’ils portent en bandoulière avec la Kalachnikov et la Mercedes. Un pouvoir exorbitant donné à des djihadistes hommes (et aussi des femmes puisqu’il y a une brigade féminine (Katiba) chargée du contrôle des autres femmes) qui n’auraient jamais pu en attendre autant de la vie vu leur niveau d’éducation et mis au service d’un système de gouvernance basée sur la terreur, bien huilé, mais aussi extrêmement bien organisé qui ne laisse rien au hasard : lois, tribunal islamiste, surveillance, collecte d’impôts révolutionnaire, embrigadement, éducation… toute cette société se met en place très rapidement et efficacement et n’oublie personne.

Les premières victimes sont les femmes sommées de porter l’abaya (ou niqad), ces voiles noirs qui couvrent de la tête au pieds et qui les transforme en lourdes ombres noires. Nissan en tirera partie pour pouvoir observer ce qui se passe en toute discrétion, ainsi elle devient invisible et sans visage et peut continuer de relayer sur sa page Facebook cette stupéfiante métamorphose de sa ville qui devient la capitale du nouveau Califat de l’Etat Islamique. Partagée entre l’amour pour sa ville et sa colère de se sentir abandonnée et de constater la soumission de son peuple, Nissan qui ne faisait que relayer les événements sur sa page Facebook sans y prendre vraiment part, qui a cru en la libération et n’a pas eu le temps d’en profiter, prend de plus en plus de risques, oubliant la prudence des premiers temps.

Elle finit par préférer à son tour “la mort plutôt que l’humiliation” quotidienne que les obligent à ressentir ces hommes qui les soumettent à cette tyrannie.

Les premiers raids aériens de la coalition internationale contre les positions de l’Etat Islamique renforce leur paranoïa et leur fait soupçonner tout un chacun d’être un espion et de transmettre des informations au reste du monde, Nissan sera victime d’une dénonciation d’un voisin…

Le monde n’est pas seulement un village, les comportements des êtres humains sont universels. L’un des rêves de Mark Zuckerberg en créant Facebook était de rendre le monde plus transparent, Nissan Ibrahim de son pseudo est devenue une héroïne d’aujourd’hui au service de cette transparence et ça lui a valu la vie.

En 2017, la coalition internationale et les forces démocratiques syriennes délivreront Raqqa, Nissan ne le verra pas …

Bilan : IN-CON-TOUR-NA-BLE et bouleversant ! ♥♥♥

 

Hala Kodmani - Seule dans Raqqa

ACHETER SUR AMAZON

 

SEULE DANS RAQQA – HALA KODMANI – Editions Pocket

 

 

2 Comments

  • Lolipop-Didoo

    Merci Emma pour cette belle chronique !
    J ai noté ce livre !
    Un livre incontournable que j ai très envie de découvrir pour comprendre mieux et pouvoir en parler avec mes ados qui suivent ces actualités complètement transformées, formatées qui malheureusement ne font que leurs mentir .

    • Emma

      Tu sais je crois que le mieux c’est de ne plus regarder les infos et de lire, d’apprendre.
      En plus c’est quand même nettement moins anxiogène ! L’autre jour que j’attendais à la Clinique, il y avait BFM TV dans la salle d’attente, j’avais oublié combien c’est violent, stressant toutes ces infos en boucle, ces débats. Je te raconte pas le niveau de stress que j’ai subitement atteint? faute d’habitude d’être confrontée à ce genre de média ! Je me suis demandée comment faisaient les autres pour supporter ça :-/
      Seule dans Raqqa est un livre dur mais tu comprends tellement bien comment tout ça se passe… Tu avais surement lu aussi « les passeurs de livres de Daraya », tellement essentiel ce livre !!
      Bisous ♥

Laisser un commentaire