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Moi, Tituba sorcière – Maryse Condé

« Moi, Tituba sorcière » de Maryse Condé est un roman fictionnel et tragique tiré de la vie de Tituba, jeune guérisseuse de la Bardane, devenue esclave et accusée de sorcellerie.

Thème : Sorcellerie, sorcières de Salem, procès de Salem, 17e S, esclavage, Tituba, Maryse Condé.

 

Moi Tituba Sorcière - Maryse Condé

 

 

Résumé de l’éditeur

 

Fille de l’esclave Abena violée par un marin anglais à bord d’un vaisseau négrier, Tituba, née à la Barbade, est initiée aux pouvoirs surnaturels par Man Yaya, guérisseuse et faiseuse de sorts. Son mariage avec John Indien l’entraîne à Boston, puis au village de Salem au service du pasteur Parris. C’est dans l’atmosphère hystérique de cette petite communauté puritaine qu’a lieu le célèbre procès des sorcières de Salem en 1692. Tituba est arrêtée, oubliée dans sa prison jusqu’à l’amnistie générale qui survient deux ans plus tard. Là s’arrête l’histoire. Maryse Condé la réhabilite, l’arrache à cet oubli auquel elle avait été condamnée et, pour finir, la ramène à son pays natal, la Barbade au temps des Nègres marrons et des premières révoltes d’esclaves.

 

2 adjectifs qui résument le livre « Moi, Tituba sorcière »

 

Envoûtant : Entre Barbade, île luxuriante, plantes, envoûtements et l’amour inépuisable que Tituba est capable de ressentir et de puiser en elle (malgré tout ce qui lui tombe dessus), on est captif de son histoire.

Humaniste : La figure bienveillante de Tituba, qui sans cesse “renaît », sans se défaire de sa générosité et de sa capacité à aimer, des différentes épreuves qu’elle traverse, souligne par contraste combien les hommes, la société et l’époque est cruelle et manque d’humanité et les ravages que cela engendre.

 

 

Ce que je pense de « Moi, Tituba sorcière » de Maryse Condé

 

Alors malgré l’actualité du sujet (les sorcières), ne vous attendez pas à un roman récent et je trouve que c’est d’ailleurs son intérêt car il n’a pas été écrit pour surfer sur une tendance du moment !

Sorti en 1986, il s’agit en réalité d’un roman qui parle des ravages de l’esclavage. Question intrinsèquement liée à la vie de l’auteure car c’est un sujet dont on ne parlait pas du tout dans sa famille et qui pourtant planait au dessus de leur histoire familiale.

Tituba a effectivement existé et a fait partie de ces femmes jugées pour sorcellerie lors du célèbre procès de Salem mais comme elle était une esclave et une femme, on dispose de très peu d’informations sur elle car son cas n’était pas jugé d’intérêt.

Maryse Condé a voulu lui rendre justice et a bâtit un roman fiction composé à partir du peu de ce que l’on sait de cette femme.

Tituba, c’est l’histoire d’un peuple qui, parce qu’il était noir, a vu sa vie ravagée et son corps devenir une marchandise.

Les rois nègres vendaient leurs sujets contre quelques biens matériels, les blancs colonisateurs y voyaient de la main d’œuvre très bon marché et corvéable jusqu’à la mort.

Être esclave semblait une condition méritée par les esclaves eux-mêmes du fait de leur manque d’éducation, de leur sauvagerie… d’où toute la complexité de se sentir victime et le poids de cet héritage porté comme une honte.

“Tant de souffrances pour quelques biens matériels “dira Tituba …

Et dans ce contexte de servitude des noirs et des indiens, Tituba cumule un autre handicap: elle est une femme, noire et une femme libre qui détient en plus le pouvoir de guérir par les plantes.

 

“A Bridgetown, Susanna Endicott m’avait déjà appris qu’à ses yeux, ma couleur était signe de mon intimité avec le malin”.

“Il y avait là deux ou trois serviteurs noirs dans les parages, échoués là je ne sais trop comment et tous, nous étions non pas seulement des maudits, mais des émissaires visibles de Satan. Aussi, l’on venait furtivement nous trouver pour tenter d’assouvir d’inavouables désirs de vengeance, se libérer de haines et de rancœurs insoupçonnables et s’efforcer de faire mal par tous les moyens.”

 

Sa mère esclave qui avait le malheur d’être belle, meure en refusant d’être violée une seconde fois par un homme.

Orpheline, Tituba est alors recueillie par Man Yaya, guérisseuse, qui va lui enseigner les secrets de la nature.

Ce pouvoir la rendra à la fois respectée et crainte.

Dans cette époque puritaine, intolérante, où la vie humaine des êtres déclarés inférieurs vaut peu de choses, déclarer une femme de sorcellerie est un moyen comme un autre de s’en débarrasser.

Tituba, naïve et foncièrement bonne, usant de ses pouvoirs pour faire le bien se trouve sans cesse confrontée à la suspicion, la jalousie, la méfiance.

Elle a beau œuvrer pour améliorer la vie et le sort des autres, on trouve sans cesse quelque chose à lui reprocher.

Quittant la Barbade pour Boston, puis pour le village de Salem, amoureuse folle de John Indien, esclave qu’elle suit, alors qu’elle était elle-même libre, elle finit emprisonnée deux ans après avoir dû confesser ses crimes de sorcellerie comme tant d’autres femmes suite à des machinations grossières pour des histoire de terres, de gros sous et de rivalités dont elles furent l’instrument malgré elles.

 

“Tituba, tu ne veux pas de moi ?”

C’était bien le malheur. Je voulais cet homme comme je n’avais jamais rien voulu avant lui. Je désirais son amour comme je n’avais jamais désiré aucun amour. Même pas celui de ma mère. Je voulais qu’il me touche. Je voulais qu’il me caresse. Je n’attendais que le moment où il me prendrait et où les vannes de mon corps s’ouvriraient, libérant les eaux de plaisir.”

 

“Tu ne veux pas vivre avec moi depuis le moment où les coqs stupides s’ébouriffent dans les basses-cours jusqu’à celui où le soleil se noie dans la mer et où commencent les heures les plus brûlantes ?

J’eus la force de me lever :

C’est une chose grave que tu me demandes là. Laisse-moi réfléchir huit jours, je t’apporterai ma réponse ici même.”

 

L’amour sera la faille qui perdra Tituba.

 

“Je fermai les yeux dans l’ombre. La redoutable perspicacité de ma mère m’irritait. En outre, je me faisais des reproches. N’en avais-je pas assez des hommes ? N’en avis-je pas assez de ce cortège de déboires qui accompagne les affections ?”

 

Acceptant de rejoindre le monde des blancs et de devenir volontairement esclave par amour pour John Indien, Tituba est pourtant vite oubliée par celui-ci quand les choses se compliquent.

Elle réalise alors que les femmes auront toujours la vie beaucoup plus dure que les hommes, qu’il sera toujours très facile de tout leur reprocher.

Être une femme, c’est être peu de choses et tout se paye chèrement: la beauté, les dons, la liberté et la justice des hommes ne protège que ceux-ci, la moindre accusation sans fondement condamne irrémédiablement les femmes.

Être sorcière c’est une malédiction bien facile à mettre en œuvre pour se débarrasser ou réclamer quelque chose d’une femme.

 

“Il aboya :

Es-tu une sorcière ? Oui ou non ?

Je soupirai :

Chacun donne à ce mot une signification différente. Chacun croit pouvoir façonner la sorcière à sa manière afin qu’elle satisfasse ses ambitions, ses rêves, ses désirs…”

 

Pourtant malgré la dureté de ce qu’elle traverse Tituba trouve encore la générosité de se préoccuper de celui qu’elle aime…

 

“En entendant les ravages du mal dans Salem, je me rongeais les sangs pour John Indien. En effet, les accusées ne cessaient de mentionner un “homme noir” qui les forçait à écrire dans un Livre ? Un esprit pervers ne serait-il pas tenté de l’identifier à John Indien ? Et celui-ci ne serait-il pas à son tour persécuté ? Ce souci cependant semblait vain. John Indien, les rares fois où il franchissait le seuil de la grange où je gémissais, me semblait bien portant, l’air bien nourri, les vêtements propres et repassés. Il portait même, à présent, une solide cape de laine qui lui enveloppait tout le corps et le réchauffait. Et les paroles d’Hester me revenaient en mémoire : “Blancs ou Noirs, la vie sert trop bien les hommes !”

 

L’histoire romancée de Tituba permet de traverser 30 ans d’histoire en se frottant à tous les fléaux humains de cette époque : l’esclavagisme, le racisme, l’intolérance religieuse car être riche et juif provoque la même montée de haine que celle qui plane contre le noir, l’indien ou les femmes.

 

“Ont-ils tant besoin de haïr qu’ils se haïssent les uns les autres ?”

“Il y avait cependant une chose que j’ignorais : la méchanceté est un don reçu en naissant. Il ne s’acquiert pas. Ceux d’entre nous qui ne sont pas venus au monde, armés d’ergots et de crocs, partent perdants dans tous les combats.”

“ Je souhaite aux générations futures de vivre en des temps où l’Etat sera providence et se souciera du bien-être de ses citoyens.”

 

Une dernière citation de Tituba pour clôturer cette chronique :  

 

“Je voudrais écrire un livre, mais hélas ! Les femmes n’écrivent pas ! Ce sont seulement les hommes qui nous assomment de leur prose. Je fais une exception pour certains poètes…Oui je voudrais écrire un livre où j’exposerais le modèle d’une société gouvernée, administrée par les femmes ! nous donnerions notre nom à nos enfants, nous les élèverions seules…”

 

Un roman où se côtoient l’histoire, la magie, l’humanisme et la petite musique de l’âme féminine sauvage, douce et indomptable et de la lecture duquel on ressort forcément changé, si on est dans une réflexion sur qu’est-ce qu’être femme et sur la manière dont on peut se rendre esclave à notre insu …

 

Bilan de ma lecture

 

Livre à lire pour découvrir un peu mieux le contexte de ce célèbre procès de Salem, la triste condition des femmes et des esclaves, quelle réalité recouvre le mot de “sorcière” et faire connaissance avec la belle âme lumineuse, incandescente et généreuse de Tituba qui reprend vie sous la plume de Maryse Condé ♥♥♥  

Pour poursuivre sur les sorcières, vous pouvez lire Les sorcières de Pendle de Stacey Halls, qui évoque un autre procès retentissant.

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