Une éducation libertine-Jean-Baptiste Del Amo
Quelle découverte que l’écriture puissante et organique de Jean-Baptiste Del Amo !
Une telle révélation que j’ai fait durer ce roman au delà du raisonnable. Pour finalement découvrir que mon admiration pour ce livre (qui est un premier roman !) est largement partagée puisqu’il a reçu le prix Goncourt “Premier roman” en 2009.
Encore un bouquin dont j’ai corné un nombre invraisemblable de pages tant j’ai été étourdie par l’écriture, la richesse du vocabulaire souvent très cru. C’est comme si Jean-Baptiste Del Amo avait intégré et digéré des zones obscures et inexploitées du dictionnaire et nous révélait tout un champ lexical encore inconnu qu’il a su s’approprier. J’aime ces lectures qui me bousculent dans ma zone de confort de lectrice (tant par le thème que la manière de l’aborder, mais qui me révèle aussi le chemin qu’il me reste à parcourir pour connaitre un peu mieux ma propre langue !)
Bref ! Vous l’avez compris ! Impossible pour moi de ne pas recommander ce livre comme tout ceux qui vont suivre celui-ci car il faut bien l’avouer, (moment de grâce ou gros coup de bol ?), je ne tombe que sur des bouquins complètement enthousiasmants ces derniers temps !
Mais de quoi parle donc cette éducation libertine ?
1760 -Gaspard, jeune homme d’origine plus que modeste, fuit son Quimper natal et la porcherie familiale pour tenter de trouver une vie meilleure à Paris. A son arrivée, il découvre alors une ville puante, répugnante, asphyxiante et putride qui suinte la pauvreté et l’ignominie. L’auteur ne s’économise pas pour pour nous présenter le Paris de cette époque, “nombril crasseux et puant de France”. Cette ville construite autour de la Seine (tout comme le roman), ce fleuve qui charrie boue, cadavres et immondices dans laquelle Gaspard va devoir s’immerger pour son premier job.
© Photo RMN-Grand Palais (Musée du Louvre) / Hervé Lewandowski
Puis viendra l’emploi chez un perruquier de la ville, arraché comme une première chance d’échapper enfin aux rues monstrueuses de Paris. Gaspard veut s’extirper de sa triste condition mais il ne sait comment s’y prendre. Il est dans cet état d’esprit lorsqu’il fait la rencontre du comte Etienne de V, un libertin notoire, qui va définitivement orienter son destin. Dominé par les sentiments amoureux et d’admiration qu’il voue à cet homme, Gaspard, abandonné va alors lui même chercher à devenir un libertin. Il veut dominer son destin, faire sa place dans les salons parisiens, il n’a alors pas encore conscience de ce qui va lui en couter. Conscient d’attirer certains hommes, dans ce siècle des Lumières qui considère la pédérastie comme une perversion condamnable, Gaspard séduit et en profite pour négocier son corps et sa discrétion auprès des nantis contre certains avantages pour son avancée dans le monde .
Mais peut on impunément s’oublier physiquement par ambition ? Est-ce qu’en cherchant à se mettre à l’abri socialement Gaspard ne s’est pas tout simplement perdu et condamné ?
Je ne veux pas spoiler la fin de ce roman donc je vous laisse le lire pour le découvrir .
Roman d’apprentissage sombre, dramatique mais captivant malgré des descriptions propres à parfois susciter la nausée. Paris comme les corps ou les relations sexuelles sont très largement dépeints avec brutalité et laideur. Cela fait partie de l’atmosphère lourde et étouffante de ce roman, loin de la légèreté et la frivolité des salons de l’époque où “œuvraient” joyeusement les libertins, ou du moins tel que l’on pourrait se le représenter.
Pourtant au final c’est aussi d’amour dont parle ce livre ! Pas l’amour romanesque auquel nous ont habitué bon nombre de romans historiques, mais celui qui asservit, qui met en état de dépendance et fait mal. Ces hommes aiment d’autres hommes, ce sentiment déviant pour l’époque qui les oblige à vivre dans une zone d’ombre honteuse les rend doublement dépendant au nécessaire secret de leur faiblesse comme de l’homme qui est l’objet de leur désir et de leurs sentiments amoureux. Si Gaspard soumet ceux qui ont l’infortune de tomber sous son charme, il est lui même prisonnier de l’amour passionnel qu’il voue au Comte de V et qui lui fait choisir par désespoir le libertinage comme voie d’ascension sociale. Ce livre c’est aussi l’histoire de la quête et de la souffrance amoureuse dont Gaspard n’est au final pas la seule victime.
Pour le reste, impossible de ne pas penser au mythique livre “Le parfum” de Patrick Süskind en lisant Jean-Baptiste Del Amo. On y retrouve ce même Paris fangeux, cette atmosphère sombre et putride d’où peuvent surgir des monstruosités . Je n’ai donc pas été surprise de lire que l’auteur avait été fortement marqué par ce livre, on retrouve incontestablement cette filiation dans ce premier roman remarquable.
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Une éducation libertine – Jean-Baptiste Del Amo – éditions Gallimard ou chez Folio