Croire au merveilleux – Christophe Ono-Dit-Biot
Les mythes peuvent-ils nous sauver la vie ?
Ou plus simplement la littérature peut- elle nous permettre d’affronter la vie ?
La littérature oui, mais pas seulement, encore faut-il parvenir à se reconnecter à l’enfant que nous étions, avide d’apprendre et plein d’enthousiasme pour la vie
César a perdu Paz, la femme qu’il aime. Plus que cela, ce quadragénaire a perdu sa raison de vivre. En tout cas, suffisamment pour ne plus réussir à affronter quotidiennement, sans souffrir, la ressemblance frappante de son fils avec sa mère disparue. Il a choisi de se retirer de la vie, de se suicider : cela lui semble une option préférable à celle de vivre, du moins assez pour accepter l’idée de laisser leur petit garçon, auquel il juge ne plus rien avoir à transmettre.
Et puis, aux dernières minutes les plus sombres de sa vie, celles où il s’apprête à franchir le pas, surgit Nana, jeune et lumineuse étudiante grecque en architecture qui sonne à sa porte pour avoir oublié les clefs de son appartement. Elle s’intéresse à la grande bibliothèque d’auteurs antiques de César, lui emprunte un livre et promet de revenir. De cet échange inespéré qui va naître entre Nana et César, va surgir peu à peu la lumière et permettre au bonheur de vivre de refaire surface.
Croire au merveilleux, c’est un beau roman sur le pouvoir de la transmission. Cette transmission entre les êtres, de parents à enfant et aussi celle de la littérature.
Croire au merveilleux c’est renouer avec l’enfant qui est au fond de nous, celui qui était d’une curiosité insatiable, capable d’enthousiasme, d’inventions, d’imagination… car si la vie peut être sombre, elle nous offre aussi nombre de beautés à contempler, encore faut-il être toujours capable de s’en émerveiller.
C’est ce voyage là que nous propose Christophe Ono-Dit-Biot, celle de la renaissance d’un homme qui se reconnecte à lui même et se découvre père avec cette transmission à assurer.
Cet homme brisé par la mort accidentelle de sa compagne, qui n’accepte pas cette perte et pire, n’accepte pas de ne pas comprendre. Dans une ultime tentative, il va essayer de faire réparer la statuette brisée que Paz aimait tant, en laquelle il l’incarne désormais et qu’il se reproche de n’avoir jamais pris le temps de faire restaurer. Ce faisant, il se raccroche au fol espoir que quelque chose adviendra. Il va donc retourner sur la côte Amalfitaine pour retrouver l’artiste capable d’effectuer cette réparation et sur les lieux où ils se sont tant aimés, lui et Paz.
Il renoue alors avec les sensations oubliées, la douleur de la perte mais aussi les baignades, la présence solaire et apaisante de la mer, cette lumière extraordinaire de la méditerranée, l’odeur entêtante des citrons, la chaleur, les corps, et même si la souffrance est encore bien trop présente, lentement, certaines sensations se rappellent à son souvenir. Et sentir, ressentir, c’est aussi vivre… De retour, il va alors faire un bout de ce chemin de reconquête de la vie avec son fils à ses côtés.
Et puis, cette drôle de fille, Nana, qui semble déjà en savoir tant sur tout, l’intrigue de plus en plus. Elle le raccroche à la vie avec sa façon à elle de s’en emparer et de la vivre avec la légèreté de sa jeunesse. César redécouvre les sens, la sensualité, le corps, son corps et celui de l’autre, la beauté qui l’entoure et son âme se réveille. Nana est le catalyseur de cette renaissance à la vie, celle qui lui indique avec bienveillance qu’il est temps de devenir père et de transmettre à son tour.
La dernière partie du livre, le ramènera d’une bien surprenante façon à l’enfance. Cette enfance qui est celle du merveilleux, où les légendes mythologiques grecques (Ulysse, les sirènes, Orphée, Eurydice…) et les histoires qu’on lui racontait lui permettaient d’affronter avec confiance la vie et de traverser n’importe quel drame puisqu’il existe quelque chose d’immortel en nous qui nous pousse à renaître sans cesse. Une vision de l’existence que l’éclairage des mythes antiques permet de mieux appréhender, de comprendre et au final, de mieux vivre.
Inutile de vous dire qu’après un tel roman, je n’ai qu’une envie : plonger enfin dans L’Iliade et l’Odyssée !
Un roman solaire, qui ne cède à aucun moment au pathos malgré un sombre départ. Un grand voyage en Méditerranée (du sud de l’Italie à une petite île grecque) et à travers nous-mêmes, puisqu’en refermant ce livre, ce ne sont pas seulement ces images éblouissantes des rivages du sud de l’Europe que l’on a à l’esprit, mais aussi celles de notre propre enfance et de ces lectures qui nous ont enchanté. Croire au merveilleux c’est retrouver son enfance et tout ce monde de possibles qui s’ouvrait à nous sans limite de temps ou d’espace, une sorte d’éternité où tout peut se passer et qui nourrit notre curiosité et notre enthousiasme de vivre.
Un roman que je rapprocherais d’ailleurs (dans un autre style) de celui de Victoria Hislop “Cartes postales de Grèce”, pour le voyage initiatique en Grèce qui permet de faire le deuil de quelqu’un (en l’occurence d’une histoire d’amour) et de se rencontrer au contact de cette sagesse antique.
Un roman érudit qui peut aussi fatiguer ceux qui n’attendent de la littérature qu’un objet de divertissement et qui en oublie qu’on apprend aussi beaucoup en lisant. Lire c’est voir autrement, côtoyer d’autres cultures, d’autres univers, se frotter à d’autres pensées et cela permet à notre âme de grandir et de s’enrichir. Parce que le livre est, par excellence, un outil de transmission qui peut aussi remplacer celle qui peut avoir fait défaut dans notre histoire personnelle. Un outil de transmission entre les hommes et entre les siècles, une merveilleuse main tendue vers l’autre qu’il faut saisir au lieu de la fuir. Parce que s’ouvrir à d’autres mondes à travers les livres permet aussi d’échapper à la noire désolation de son état intérieur pour voir le beau.
En tout cas, celui-ci avec toutes ces références à la mythologie m’a donné envie de “gratter” un peu plus, d’en apprendre plus et j’aime les romans qui me poussent à être un peu plus intelligente ou cultivée.
Et puis apprendre encore et toujours et, transmettre, ce sont quand même les bases de la vie, nos moteurs, non ?
“Qui apprendrait désormais que “l’homme est un animal doué de logos”, et que ce logos, c’est à dire sa façon non seulement d’articuler, mais de s’articuler face au monde, était ce qui le séparait de l’animal ? Qui aurait la chance de se voir enseigner que le plus important est de sculpter sa capacité à s’étonner (thaumazeïn), commencement de la sagesse, de se forger un esprit critique mais aussi un imaginaire en franchissant, comme je l’avais fait, sur la croupe de Pégase, à la barre de la nef Argo ou en tétant les mamelles de la Louve, les grandes portes des mythes ? Ça aidait quand même à vivre, tout ça, non ? A s’ouvrir à l’autre. Comme Ulysse après son naufrage, face à Nausicaa (mon passage préféré), et qui lui dit : “Je te supplie, ô reine, es-tu déesse ou mortelle ?” Voir un dieu en l’autre, et pas seulement un étranger.”
“Tout cela restait, faisait voir le monde différemment, ensoleillait l’existence, la rendait plus affûtée, riche de doubles sens, donnait des possibilités d’action dans un monde qui se déchirait.”
PS: J’ai aussi découvert que César est un personnage récurrent de l’oeuvre de Christophe Ono-Dit-Biot, puisqu’il « occupe le terrain » depuis le tout premier titre. Je vais donc filer le rejoindre dans un autre roman pour en apprendre un peu plus sur celui-ci 😉
CROIRE AU MERVEILLEUX – Christophe Ono-Dit-Biot