Elsa mon amour – Simonetta Greggio
Dans ce roman autobiographique, Simonetta Greggio redonne vie à Elsa Morante, l’un des écrivains majeurs du 20e siècle mais qui fut aussi une femme complexe à la vie exceptionnelle.
Thème : auteur féminin, littérature, Elsa Morante, Alberto Moravia, Italie.
Sommaire
Résumé
Elsa Morante, née à Rome le 18 août 1912, est écrivain, poète et traductrice. Elle épouse Alberto Moravia en 1941, mariage qui durera jusqu’à sa mort le 25 novembre 1985. En 1957, avec L’Île d’Arturo, elle est la première femme récompensée par le prix Strega. La Storia, publié en 1974, figure dans la liste des 100 meilleurs livres de tous les temps. Fille naturelle d’une enseignante, Irma Poggibonsi, et d’un employé des postes, Francesco Lo Monaco, Elsa Morante est reconnue par Augusto Morante, mari d’Irma. Elle passe son enfance dans le quartier populaire du Testaccio à Rome. Lorsqu’elle a six ans, sa marraine, Maria Guerrieri Gonzaga Maraini, «tombe amoureuse» de la « petite fille aux yeux cernés», et l’emmène quelque temps vivre «dans son jardin». Elsa commence à cet âge à écrire des brèves nouvelles et des fables pour enfants.
Ce roman, intime et sensuel, redonne à Elsa Morante sa voix. Ce roman est l’histoire de sa vie.
2 adjectifs qui résument ce livre
Poétique : Il fallait tout le talent et la plume de Simonetta Greggio pour insuffler et lier douceur et fragilité, toutes cette mosaïque de nuances, à la personnalité libre et audacieuse d’Elsa Morante : ne pas s’en tenir uniquement à son caractère bien trempé et solitaire qui pouvait la rendre intraitable : “Je sais ce que l’on dit de moi”.
Inspirant : De par la personnalité incandescente et aussi terriblement compassionnelle d’Elsa Morante, cet appétit de vivre hors norme, cette énergie de vie, cette personnalité passionnelle qui ne fit rien à moitié et se donna entièrement à sa passion : la littérature, mais aussi à ses amis ou à ses amours, même impossibles.
Ce que j’en pense
J’avais entendu parler d’Elsa Morante avant de découvrir ce roman biographique de Simonetta Greggio et effectivement, plus que l’œuvre littéraire, c’était la figure exceptionnelle de cette femme qui m’avait incité à m’intéresser à elle. J’avais alors acheté à ce moment là une biographie dont je vous parlerai plus tard (quand je l’aurais terminé !) mais comme j’ai découvert ce livre avec la rentrée littéraire, j’ai finalement opté pour la lecture de celui-ci en premier lieu, par fainéantise : il était beaucoup plus rapide à lire !
Mais je n’ai aucun regret, ce roman m’a enchanté ! Il fait d’ailleurs partie de mes coups de cœur de la rentrée littéraire. C’est vrai que les premiers chapitres m’ont un peu décontenancé car j’avais un peu du mal à suivre les pensées d’Elsa, d’autant plus que je ne connaissais rien de son histoire. Mais très rapidement? on reprend pied et la suivre devient addictif.
Car rien n’est commun dans la vie de cette femme, ni sa naissance (d’un père qui n’ait pas celui qui l’élève et dont elle ne porte pas le nom), ses relations compliquées et passionnelles avec sa mère, sa sauvagerie, sa précocité et son exceptionnel esprit d’indépendance, sa foi en son destin d’auteur et cette nécessité de s’accomplir malgré les difficultés. Tout comme ses amitiés et ses amours, son engagement populaire et sa philosophie de l’Histoire, son amour des animaux qu’elle préfère aux hommes, cette maternité inassouvie, en font une femme attachante malgré sa dureté. Mais pouvait-il en être autrement à cette époque lorsqu’on était une femme qui voulait exister ? Et de surcroît dans une société aussi patriarcale que celle où elle est née ? Car l’histoire d’Elsa Morante, c’est aussi celle d’une certaine Italie, celle de la seconde guerre mondiale, du fascisme, des années Fellinienne, des années d’or de la famille Agnelli (Fiat) et de la Cosa Nostra, on y croise Pasolini, Visconti, la Callas… mais on y meurt aussi facilement et tragiquement.
Simonetta Greggio nous livre un beau roman à la fois vibrant, passionnant, touchant, visuel et très poétique qui n’est pas une biographie mais une porte d’entrée sur la véritable intimité d’Elsa Morante, lui redonnant voix pour éviter qu’elle ne tombe dans l’oubli. Car Elsa Morante n’est pas seulement l’un des plus grands écrivains du monde mais c’est aussi une femme exceptionnelle, une femme qui n’a jamais renoncé et qui a vécu intensément toute sa vie. Cette vieillesse insupportable avec ses maux et ses renoncements, qui l’a surprend brutalement, est une trahison car elle est toujours, au fond d’elle-même, cette jeune femme sauvage et batailleuse, amoureuse de cette vitalité intellectuelle et physique qui caractérise la jeunesse.
D’origine modeste, rien ne destinait Elsa Morante à un tel avenir si ce n’est son entêtement et son talent. A 13 ans elle publie déjà dans des journaux pour les enfants et à 18 ans elle quitte tout pour se consacrer à l’écriture, abandonnant ses études faute d’argent. C’est une autodidacte et elle travaille à écrire avec un appétit féroce, seule, sans avoir toujours de quoi manger, subvenant à ses besoins comme elle le peut sans jamais se plaindre. Elle sait que la vie il faut la dévorer, qu’on n’en a qu’une, qu’il n’y a pas de temps à perdre, qu’au bout de celle-ci, nous serons jugés sur notre appétit de vivre.
Pourquoi Elsa Morante ?
Parce que c’est une femme qui ne fait rien à moitié, qui ne s’économise pas autant dans ses passions que dans ses erreurs. Une femme qui sait se “brûler” à la vie, à l’amour comme dirait Simonetta Greggio (qui a hérité de l’incandescence de son auteur préféré) tout en restant digne et même dure car véritablement audacieuse mais aussi capable de se dédier entièrement à sa passion pour la littérature sans jamais faillir.
Ni la faim des débuts faméliques, ni l’exil forcé qui la fait suivre Moravia qui est juif et doit fuir l’Italie fasciste, ni la seconde guerre mondiale, ni son mariage, ni le fait d’être une femme dans une société patriarcale, ne la détourneront de son rêve d’écriture.
Mariée à à Alberto Moravia, qui est déjà un très grand auteur italien, elle aurait pu rester dans son ombre mais c’est mal la connaitre ! Elle se sait meilleure écrivain et va le prouver. Gagner son indépendance, voler de ses propres ailes est une obsession depuis l’enfance, elle sera indomptable et intraitable sur cette exigence envers elle-même.
“J’étais déjà convaincue d’être en cela meilleure que lui. Je voulais seulement apprendre à voler de mes propres aile. Vivre de mon écriture, voilà ce qui m’importait par-dessus tout.”
“Avais-je vraiment de la valeur ? Les seules armes à ma disposition s’appelaient énergie te travail. Des mois, des années de travail acharné. Ma mère m’avait passé l’information en me donnant, en même temps que le sein, une injonction : une femme doit se jeter toute entière dans la mêlée. Son corps, sa ruse, ses forces vives. Et souvent ce n’est pas suffisant. Se vendre, se louer, quitte à se perdre. Et guetter l’étoile qui brille, tous les soirs, à la fenêtre. Un jour avec un peu de chance, elle sera à portée de la main.”
Pourtant Alberto Moravia est inconstant et ils auront rapidement des aventures amoureuses chacun de leur côté tout en restant mariés car Elsa considère que c’est son homme et lui refusera jusqu’à sa mort le divorce. Même séparés, il sera hors de question qu’elle cède cette place à sa rivale. De son côté, elle a des amours compliqués, car elle s’éprend toujours d’hommes qui n’aiment pas les femmes : Pasolini, Visconti et Bill Morrow, mais elle vit tout de même ces histoires, plus virtuelles que réelles, avec une véritable passion.
De ces origines modestes , elle gardera son amour pour les personnages issus des milieux populaires, ces déshérités de la vie, qu’elle mettra au cœur de ses romans.
Elle aime les personnages simples, passionnés, mais pour lesquels la vie est extrêmement dure et rigoureuse, les enfants qui sont à ses yeux les seuls capables de changer le monde et de le voir tel qu’il est car leur regard n’est pas encore déformé. Elle sera toujours du côté des humiliés et des offensés, cette compassion, c’est ce qui rendra son œuvre si populaire au delà de son incontestable talent pour l’écriture.
Elsa l’engagée qui voulait laisser avec “La storia”, une histoire dans l’Histoire, un témoignage de ce que fut au quotidien la seconde guerre mondiale , cette Histoire sanglante et meurtrière qui ravagea la vie de ceux qui furent obligés de la subir et en furent les véritables victimes mais aussi les seuls vrais héros.
Elsa qui resta toute sa vie, affamée et enflammée, brûlant sa propre vie, ardente et solitaire mais aussi sincèrement attachante et attachée à ses amis et compassionnelle, nous montre combien vivre doit être un acte engagé, audacieux et déraisonnable. Quoique l’on fasse, on ne doit jamais s’économiser !!
“La vie est une folie, sinon elle ne sert à rien.”
Je me rends compte en me relisant que j’ai davantage écrit sur Elsa Morante que sur ce roman mais je pense que c’est la grande force de ce livre et tout le génie de Simonetta Greggio qui a (presque) réussit à se faire complètement oublier et à ne faire plus qu’un avec son auteur préféré : ce livre est Elsa Morante ! ♥♥♥
ELSA MON AMOUR – SIMONETTA GREGGIO – Editions Flammarion