Le vieux Saltimbanque – Jim Harrison
Dans la série des belles découvertes de ce début d’année 2017, c’est la lecture de cette autobiographie de Jim Harrison publiée juste avant sa mort. Une manière de découvrir sans fards, ce grand auteur, qui aimait la vie peut être jusque dans l’excès et qui pensait mourir jeune.
Raté Monsieur Harrison ! Et franchement ça aurait été dommage !
Quand il a fait part de son projet à sa famille d’écrire son autobiographie, celle-ci lui réclame de la tenir à l’écart.
« Mes deux filles mariées, présentes lors de ce fameux dîner, se sont écriées en chœur : “Laisse-nous en dehors de ça !” Au bord des larmes (j’avais bu quelques verres), je me suis senti victime d’une injustice flagrante. « Vous n’avez donc aucune confiance en mon goût ? » leur ai-je demandé. Elles m’ont répondu d’un “Non !” sonore ».
(Et oui l’un de ses amis écrivains avait eu auparavant l’idée d’adjoindre à ses mémoires, de faux amants à sa femmes pour s’absoudre de ses propres frasques…).
“J’ai bien été forcé de reconnaitre que j’étais tout à fait capable du même stratagème, mais sous le mode de la plaisanterie »….”J’ai décidé de poursuivre mes mémoires sous la forme d’une novella”
Cette autobiographie écrite à la troisième personne, ne s’en tient pas à un ordre chronologique. Jim Harrison relate les souvenirs les plus marquants de sa vie, sans filtres. On y passe en revue ses passions pour la chasse, la pêche, le Montana, la bonne bouffe et bien évidemment les femmes. Mais il y évoque aussi la perte de son œil gauche, la mort de sa jeune sœur et celle de son père, sa vocation de poète, les scénarios pour Hollywood écrits jusqu’au dégoût, ses excès et frasques alcoolisées, la perte inestimable de sa virilité.
Libre, indomptable comme le sont les grands fauves de la littérature, il nous offre un dernier ouvrage bourru et tendre à la fois. Souvent facétieux et n’économisant pas l’autodérision, le lire est un régal.
Ce livre est imbibé de tant d’amour de la vie et de ses plaisirs que difficile de ne pas succomber. Que dire de cette truculente histoire d’adoption d’une truie enceinte dont il s’était mis en tête d’élever les porcelets avant de vouloir retranscrire cet amour quasi maternel dans un poème qu’il ne réussit jamais à terminer.
C’est d’ailleurs l’occasion d’en apprendre davantage sur le processus de création littéraire de l’auteur.
“La poésie a parfois ce genre d’effets. Soit on se retrouve au septième ciel, soit on barbote en pleine dépression.”
“On pond un premier vers formidable mais la pensée n’est pas assez puissante pour en enchainer d’autres et, au beau milieu de la création, les mots s’ennuient et se font la guerre…”
Mais aussi d’entrapercevoir ses démons comme l’alcool qui ruinera son mariage avec sa dernière femme dont il ne divorcera jamais et dont il continuera d’habiter le petit cabanon dans le jardin pour écrire, ou cet amour de la bonne bouffe qui l’obligera à lutter continuellement contre son obésité et qui nous vaudra des réflexions du genre : “Comment bien écrire quand on pense tout le temps à la bouffe ?”
On apprend incidemment qu’il n’a pas gagné sa vie comme auteur de livres avant l’âge de soixante ans (ce qui parait hallucinant vu la stature de l’écrivain !), et que ce sont les ventes de ses livres en France qui vont lui sauver la vie quand il saturera complètement de son travail d’écriture scénaristique pour la Warner Bros qui le payait d’ailleurs grassement pour cela.
Un récit pas toujours politiquement correct, ces relations avec les femmes (qui peuvent comprendre ses étudiantes) y tiennent une grande place et son angoisse d’intégrer le ban/clan “des bites mortes”, nous vaut quelques passages épiques sur la perte de sa sexualité qu’il inscrit comme le grand évènement marquant et traumatisant de sa fin de vie. Mais le moins qu’on puisse dire c’est qu’il ne perd jamais le sens de l’humour, même quand pris en flagrant délit d’adultère par sa femme qui a pris le soin de s’armer pour le surprendre, il s’exclame : “ Ne me tue pas avant que j’aie fini le scénario, sinon tu perds 100 000 dollars”, ce qui lui vaudra d’avoir la vie sauve.
Un roman qui se lit très vite, presque goulument et dont on aurait tort de se priver tellement c’est réjouissant. Une plume enlevée, un texte truffé d’anecdotes, de réflexions sur la littérature. Le moins qu’on puisse dire c’est qu’on ne s’ennuie pas avec le vieux Jim !
Good bye Mister Harrison ! Vous allez nous manquer … ♥
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Le vieux saltimbanque – Jim Harrison (Editions Flammarion)