Mon amour-Julie Bonnie
Ce petit livre embarqué dans mon périple milanais parce qu’il parlait d’amour (et aussi parce qu’il avait la taille parfaite pour entrer dans le minuscule sac à main que je m’étais autorisé à prendre) m’aura finalement accompagné tout mon séjour. Le format s’y prêtant tout à fait puisqu’il s’agit de courtes lettres, j’ai ainsi pu faire durer le plaisir de cette lecture, en me laissant aller à lire quelques pages en attendant l’arrivée d’un plat au restaurant ou blottie au chaud dans un de ces chaleureux cafés italiens.
Tout d’abord j’ai été attirée par le parcours atypique de cette auteure. Chanteuse, guitariste, violoniste elle a chanté dans toute l’Europe pendant plus de dix ans avant de tenter l’aventure de l’écriture de romans. J’aime les talents protéiformes, la richesse d’un monde que l’on transpose, apporte avec soi dans un nouveau. Certaines personnes aiment les petites cases qui enferment les gens, je préfère les poupées russes, l’addition des “corps”, des savoirs, des peaux qui “transpirent” les unes sur les autres pour donner naissance à quelque chose de nouveau. Ce roman ne m’a pas déçue
J’ai été surprise parce que je m’attendais à un véritable roman épistolaire et ce n’en est pas vraiment un… mais par le biais de cette correspondance entre ses deux personnages, Julie Bonnie nous permet d’entrer de plein pied dans l’intimité de ce jeune couple.
Pas de prénoms, elle c’est “sa fée” et lui “son amour”. Elle vient d’accoucher d’une petite Tess. Il est parti pour une tournée d’un mois avec son groupe de jazz. Elle n’aime pas le téléphone alors ils s’écrivent dans leur journaux intimes respectifs. Elle se sent seule, perdue dans son appartement parisien qu’il a déserté pour sa tournée juste après la naissance et elle est complètement absorbée par cette relation d’amour fusionnel qu’elle tisse avec le bébé. Elle le réclame et lui se débat avec ses démons, ses souffrances, ses doutes sur son talent et son incapacité à affronter la solitude. Il la trompe à peine parti.
En un mois, ces deux êtres qui s’aiment plongent dans une réflexion en miroir vertigineuse par l’entremise de l’écriture. La naissance de leur fille les renvoie chacun à leur place, à celle que va prendre Tess dans leur vie redéfinissant la leur. Si elle apprend jour après jour à devenir charnellement une mère, qu’en est-il de la femme esseulée dévastée physiquement par l’accouchement ? Lui, il n’est plus le centre du monde, et à cause de ce bébé elle n’a pu l’accompagner dans sa tournée. Il essaye de se raisonner mais pour lui, il n’y avait pas de place dans leur vie pour un enfant, d’ailleurs c’était lui l’enfant. Lui qui avait besoin de sa fée pour être écouté, cajolé, compris. Lui qui n‘a pas réglé ses comptes avec ce père absent, un musicien jazzman renommé, dont il cherche inconsciemment la reconnaissance filiale et artistique. Lui enfant qui a dû porter la douleur de sa propre mère qui s’est effondrée lorsque cet homme l’a quitté pour une autre. Lui qui se bat pour exister. Elle lui reproche son égoïsme, de ne même pas s’intéresser au bébé. Il lui reproche de ne pas comprendre ses doutes et sa souffrance. Chacun est seul de son côté et leurs deux mondes s’écartent irréversiblement même s’ils s’imaginent au bout du compte pouvoir surmonter leurs silences, leurs faux fuyants et leurs entorses pour se retrouver à l’issue de cette tournée.
Quelques personnages viennent apporter leur pierre à la compréhension de la nouvelle histoire qui se construit derrière cette correspondance. Car après un départ tout en douceur, très rapidement le rythme s’accélère et l’histoire s’emballe. Julie Bonnie sait séduire et rendre captif son lecteur d’une histoire dont il ne sait qu’attendre. On tourne alors les pages en retenant son souffle, à la fois devant le choix des mots pour conter la relation d’amour maternel qui s’installe et le tour inattendu que prend cette histoire. Julie Bonnie sait capter les moments de grâce de la maternité comme les fulgurances déchirantes de la création artistiques. On ressent tour à tour ces émotions qui habitent l’artiste, la détresse et l’extase, qu’il peigne ou qu’il joue de la musique, tout comme celles à fleur de peau qui envahissent la jeune maman face à son bébé. J’ai été séduite par la plume caressante, presque poétique puis incisive de cette auteure toute en sensibilité.
Un petit roman de sensations douces, violentes, colorées et jazzy à ne pas rater et qui m’a donné envie de découvrir les autres romans de cette auteure dont notamment le très remarqué “Chambre 2”.
Coup de cœur ! ♥
Julie Bonnie ‘- “Mon amour,” Editions Pocket