Dans la foret – Jean Hegland
En réalité, j’ai tellement de chroniques en retard à écrire sur mes dernières lectures que j’aurais dû commencer par celles-ci mais ce livre m’a tellement enthousiasmé que je l’ai laissé couper la file d’attente pour se présenter en premier.
J’ai particulièrement été saisie par le côté visionnaire de ce livre écrit par Jean Hegland en 1996 ! Franchement à la lumière des derniers évènements qui secouent le monde, cette lecture prend des airs prophétiques.
Comment ne pas imaginer que demain nous soyons, nous aussi, confrontés à la nécessité d’essayer de survivre dans des villes où plus rien ne fonctionne et où tout manque ?
Une lecture IN-DIS-PEN-SA-BLE qui devrait être au programme scolaire et à fortiori dans toute bibliothèque
Nell et Eva vivent déjà à l’écart de la ville quand la guerre se déclare dans le monde provoquant une crise sans précédent aux Etats-Unis. Il avait déjà été fait le choix de ne pas les envoyer à l’école selon le principe qu’un enfant apprend davantage quand on le laisse découvrir et apprendre par lui-même. Et effectivement Nell est brillante et dépasse très rapidement les enfants de son âge tout en rêvant d’intégrer Harvard alors que sa sœur s’entraine dur pour pouvoir devenir danseuse. Et puis, ce sont les premières coupures d’électricité, la raréfaction de l’essence qui limite les déplacements, les denrées alimentaires qui ne sont plus disponibles en abondance, jusqu’au jour où plus rien ne fonctionne : les magasins ferment faute d’approvisionnement, les maladies recommencent à tuer faute d’hôpitaux en état de fonctionnement et de rupture de médicaments, les rumeurs courent, les gangs investissent les villes … Sans pétrole, sans électricité, la société entière s’immobilise.
Pour les deux adolescentes qui ont déjà perdu leur mère avant la crise, il s’agit au départ de prendre son mal en patience en espérant un rapide retour à la normale. Eva continue de s’entrainer d’arrache pied dans son atelier, sans musique, aux battements du métronome et Nell qui n’a plus de lectures à découvrir, lit désormais l’encyclopédie pour tenter d’apprendre tout ce qu’il lui reste à savoir pour intégrer Harvard.
Mais ces rêves ont ils encore leur place dans un monde qui n’existe déjà plus ?
La perte de leur père et la crise qui semble n’avoir plus de fin, va les obliger à organiser leur survie et à faire de cette forêt, leur alliée.
A la fois roman “nature writing” et d’apprentissage qui donne à suivre le cheminement des deux adolescentes au travers du journal de Nell mais aussi de comprendre l’évolution du huis clos entre les deux sœurs. Une relation fusionnelle que l’une recherche ou regrette tandis que l’autre essaye de se construire seule de son côté. Une relation forte faite de hauts et de bas, de tensions sourdes et d’un indéfectible soutien qui soude les deux adolescentes face à l’adversité. Une belle histoire de sororité !
Même si le sujet est grave, ce livre porte en lui un puissant message d’espoir. Peut être celui qui nous habite déjà inconsciemment, ce sentiment paradoxal qu’à une grave crise font toujours suite des changements positifs. Que l’on va enfin pouvoir se débarrasser d’un système qui semble s’être emballé et dont on ne sait plus comment gérer les problèmes et les débordements de tous ordres pour pouvoir enfin entrevoir un avenir meilleur… Mais surtout celle de notre extraordinaire capacité d’adaptation humaine, qui nous amènerait à nous reconnecter avec la nature quand s’éteindra le règne des énergies fossiles.
Bref ! Un roman apocalyptique plutôt logique car sans débarquement d’aliens, ni survenances d’étranges maladies mortifères (pour une fois !) mais offrant l’opportunité une véritable renaissance/ reconnexion de l’homme à sa vraie nature.
A retenir aussi le “ta vie t’appartient” transmis par la mère aux deux adolescentes depuis leur plus jeune âge qui leur permet d’affirmer leur individualité mais aussi de reconnaitre celle de l’autre et qui est certainement un des messages les plus puissant et libérateur qu’elle ait transmis à ses enfants et sur lequel elles ne cesseront de s’appuyer pour faire leurs choix et s’affranchir de la dépendance aux autres.
Un roman fort, bouleversant, qui ne se veut pas moralisateur et porté par une écriture lumineuse et simple qui résonne d’un écho particulier avec le bouillonnement haineux qui agite le monde d’aujourd’hui.
Même si Jean Hegland prend la peine de préciser dans les dernières pages de son livre qu’il s’agit d’une œuvre de fiction, on ne peut s’empêcher de penser que ce scénario catastrophe est plus que possible tant nous sommes devenus dépendants d’une société dans laquelle notre survie est attachée à l’existence d’un supermarché ouvert et approvisionné, d’un plein d’essence et d’un réseau électrique efficient. Il n’y a rien qu’à constater la désorganisation qu’engendre une simple mais longue panne de courant dans nos petites vies quotidiennes (frigo, congélateur, eau chaude, chauffage, lumière…) pour comprendre les bouleversements qui adviendraient si celle-ci venait à disparaitre.
L’homme peut s’adapter mais encore faut-il qu’il ait le temps de le faire !
Les deux adolescentes vont mettre un certain temps à comprendre qu’il leur faut s’organiser, le temps de réaliser que leurs réserves s’épuisent dramatiquement et qu’elles deviennent tributaires des saisons et de leur prévoyance pour sauver leur vie.
Ce roman met aussi les livres à l’honneur, internet ne fonctionnant plus, Nell doit chercher des solutions à leurs problèmes dans l’Encyclopédie et dans les livres. Avec les deux adolescentes, on redécouvre la richesse de tout ce qui nous entoure et dont on n’a plus conscience. Ce livre nous ramène à notre essence, à l’essentiel, nous redéfinit dans notre rapport à la nature, à tout ce que l’on ne sait plus, ces savoirs qui ne se transmettent plus parce que la société d’aujourd’hui n’estime plus nécessaire de le faire (tout occupée qu’elle est à essayer d’éduquer des êtres capables de perpétuer son système) mais qui pourrait bien conditionner notre survie…
J’ai envie qu’au delà d’un livre qui nous met face à une réalité, c’est d’abord un guide de survie. On réalise tout ce qu’on a apprendre, que l’on vit dans un système qui nous apparait soudain d’une fragilité extrême et que l’on n’est absolument pas préparé à une autre réalité qui pourrait pourtant s’installer en l’espace de seulement quelques semaines, voire quelques jours.
Un roman qui peut changer notre regard sur la manière dont nous vivons, en tout cas qui ne laisse pas indifférent !
“Dans la forêt” – Jean Hegland – Editions Gallmeister