Romans

Est-ce ainsi que les hommes jugent ? -Mathieu Menegaux

Drame : Une histoire forte, percutante et douloureuse d’une famille plongée brutalement dans l’univers de la justice.

Thème :  justice – faille judiciaire 

Est-ce ainsi que les hommes jugent - Mathieu Menegaux

Résumé

Gustavo a tout pour réussir et une vie on ne peut plus rangée où rien ne dépasse. Pourtant un matin, la police fait irruption chez lui et retourne toute sa maison. Il part alors menotté pour une longue, angoissante et incompréhensible garde à vue. Sa femme bataille de son côté pour trouver des preuves le disculpant tout en essayant de préserver leurs deux enfants.

Mais peut-on encore “récupérer” le statut d’innocent quand une affaire est mise sur la place publique ? 

Roman choral, où chacun des personnages fait partager sa propre vision de l’affaire et ce qui le préoccupe réellement. On plonge alors dans cette histoire en état de perplexité totale jusqu’au dénouement final. Avec un style direct et tendu, Mathieu Menegaux nous transporte une fois de plus au cœur du système judiciaire avec une complexe histoire humaine.

2 adjectifs qui résument le livre

 

Kafkaïen : L’absurde semble prédominer car comment démontrer l’inverse de ce que la logique semble établir.

Angoissant : Car jusqu’au dernier moment on reste incertain de l’issue de cette histoire, sans savoir véritablement que penser.

 

Ce que j’en pense

 

J’avais grand hâte de découvrir ce dernier titre de Mathieu Menegaux tant “Un fils parfait” m’avait secouée et bousculée. Je me demandais quelle nouvelle histoire kafkaïenne, il allait bien pouvoir nous conter. Car une fois encore on pourrait détourner cette phrase de François Truffaut que j’aime tant, sur le faît que la vie a toujours plus d’imagination que nous, car si les législateurs ne cessent de pondre des lois pour tenter de garantir nos droits de citoyens, la vie et les hommes ont beaucoup plus d’imagination qu’eux. Et c’est le cas !

En tout cas, la justice des hommes telle qu’elle apparait dans ce nouveau roman donne encore une fois à frissonner. Mathieu Menegaux se plait à débusquer les failles de la justice dans lesquelles “s’instruisent” à charge et avec une absurdité étourdissante des histoires qui font imploser des vies … Comment se défendre d’une coïncidence ? Comment établir des faits lorsqu’on n’a que sa bonne foi et pas de preuves matérielles tangibles ? Comment se défendre lorsque l’absurdité d’une situation atteint un tel degré qu’on en vient soi-même à douter de sa propre raison ?

Des questions, vous n’avez pas fini de vous en poser à la lecture de ce dernier roman. A savoir que la première, c’est qu’on se demande pourquoi Mathieu Menegaux n’est pas en train de plaider une cause perdue au fond d’un tribunal plutôt que d’écrire des romans. Sourire 

Bon on se dit que cela aurait été dommage pour la littérature mais qu’il aurait peut-être pu sauver avec talent quelques existences si la justice est aussi écrasante et partiale que ce que ses romans nous le révèlent…

Car c’est ce qu’il ressort de ce nouveau roman. Gustavo se voit accuser de faits contre lesquels il ne peut apporter aucune preuve contraire. Pire, tout semble au contraire attester qu’il est en bien l’auteur : son accident de voiture sans témoin, la réparation au black de sa voiture, son incapacité à se souvenir précisément de son emploi du temps le fameux jour des faits …

La logique semble du côté de la version établie par la police. Il ne peut qu’être coupable ! A l’incrédulité succède le doute puisque toutes les preuves attestent que ça peut être que lui : Et s’il était réellement coupable ? Et s’il avait simplement perdu la raison et la conscience de ce qu’il faisait à ce moment là ? Après tout, nous ne sommes que des êtres humains, donc faillibles, un moment d’absence, de folie, puis le refoulement, tout est possible…

A un moment le calcul ne réside plus dans le fait de savoir s’il est véritablement coupable ou pas mais d’opter pour la meilleure défense possible. Avouer semble la moins mauvaise des options pour se sortir le moins mal possible de cette situation

On note le parallèle avec l’histoire personnelle de Gustavo dont la famille a fuit le Chili et la dictature arbitraire de Pinochet pour finir par être rattrapé par un même genre d’arbitraire en France, pays de démocratie et de justice où pourtant les policiers en viennent à regretter la lourdeur de la procédure pénale qui semble excessivement protéger les droits des délinquants et ne leur permettent pas de faire correctement leur travail.

“Defils considère que ce sont autant de bâtons dans les roues de ceux qui travaillent à protéger les citoyens et coffrer les criminels. Ces nouveautés permettent selon lui à une quantité non négligeable de fripouilles de sortir de cette épreuve uniquement sur des points de procédure. Defils est méticuleux, précautionneux, tenace et droit. Il n’a jamais fabriqué un coupable pour faire du chiffre, répondre à la pression médiatique ou satisfaire sa hiérarchie. Mais la présomption d’innocence, à d’autres !”

“Ça doit ressembler à cela, la guerre. Un escadron qui débarque chez vous, occupe les lieux et installe dans votre maison un poste de commandement, qui vous dépossède et vous asservit en moins de temps qu’il n’en faut pour le dire.”

Pourtant l’histoire de Gustavo montre le danger qu’il y a non seulement à considérer la procédure et les droits de la personne appréhendée de façon aussi inconséquente mais aussi combien la machine judiciaire et policière, une fois lancée, lamine les existences qu’elle traverse à tort.

La recherche de la vérité, l’exigence de résultat, d’une prompt efficacité, justifie tous les dommages collatéraux.

Comment se relève t on de tout cela ?… On pense à la célèbre affaire Outreau mais aussi au livre de Gilles Perrault “Le pull-over rouge” dans lequel l’avocat de Christian Ranucci faisait part de son profond doute (ou de sa quasi conviction) de la non culpabilité de son client … Des affaires où l’émotionnel l’avait emporté sur la raison. Depuis cette polémique, trois demandes en révision du procès ont été introduite sans aboutir mais de toute manière le couperet de la guillotine a déjà interdit tout retour en arrière. L’émotion a toujours un coût qui n’est pas supporté par ses prêcheurs.

Si le traitement médiatique des affaires judiciaires sensibles a toujours été un problème aggravant, “Est-ce ainsi que les hommes jugent ? “ évoque la folie rageuse et le rôle joué par les réseaux sociaux sur lesquels plus rien n’est contrôlable à partir du moment où certaines rumeurs ou vindictes sont lancées. La question de la vérité, des preuves matérielles et de la présomption d’innocence devient tout à fait anecdotique, lettre morte. Le lynchage guidé par l’émotion est la priorité, le temps du raisonnable, de la réflexion et de la vérité, on s’en préoccupera plus tard, trop tard … Oui c’est dans ce genre de société que l’on est susceptible de vivre aujourd’hui, une société qui instruit vite, dans l’urgence, à charge, avec une sorte de rage et de folie qui a fait emprunter à l’auteur le titre de son roman au poème d’Aragon “ Est-ce ainsi que les hommes vivent”:

On prenait les loups pour des chiens
Tout changeait de pôle et d’épaule
La pièce était-elle ou non drôle
Moi si j’y tenais mal mon rôle
C’était de n’y comprendre rien
Est-ce ainsi que les hommes vivent

Mathieu Menegaux confirme son talent à construire des histoires fouillées, travaillées, dans lesquelles il dissèque en orfèvre notre société et en particulier notre système judiciaire démontant la jolie façade de la justice pour en montrer les terribles failles dans lesquelles les êtres humains tombent. Autant dire que l’on préfèrerait que cela reste purement fictionnel !

Encore un roman impossible à lâcher  !! Une lecture en apnée dont on termine les dernières pages avec des questions plein la tête ! Je ne sais pas si je l’ai déjà évoqué dans ma précédente chronique “un fils parfait” mais je ne peux m’empêcher en lisant cet auteur de penser à l’écrivain et avocat américain John Grisham dont les romans finissent d’ailleurs très souvent sur grand écran. Ce qui me parait une suite logique pour ceux-là également.

Bravo cher Mathieu pour ce nouveau coup de maitre !! ♥♥♥

 

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EST-CE AINSI QUE LES HOMMES JUGENT ? – MATHIEU MENEGAUX – Editions Grasset

4 Comments

  • Camille

    Je l’ai récemment découvert avec Un fils parfait : oppressant, dérangeant… mais tellement plausible ! Alors, tu ne me donnes qu’une seule envie : lire ce nouveau roman !!! 😉

    • Emma

      Oui Camille, c’est moins oppressant car les enfants ne sont pas au cœur de l’histoire mais c’est le même engrenage implacable et absurde qui fait jusqu’au bout douter de l’issue de ce récit. Je comprends parfaitement que tu aies envie de le lire si tu as aimé « Un fils parfait » !! 😉

  • florestockman

    oh génial ton post sur le dernier Mathieu Menegaux ! j’avais lu d’une traite son premier roman « Je me suis tue »… je sens que je vais me regaler à nouveau avec celui-ci :)) merci Emma !

    • Emma

      Oh coucou Flore !!
      Heureuse de te lire par ici !!
      Il faut aussi que tu lises « Un fils parfait », ça t’en fait 2 !
      Si on se voit à mon prochain passage sur Paris, je te les amène avec celui que je t’ai promis 😉
      Gros bisous ♥♥♥

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