Et soudain, la liberté – Evelyne Pisier / Caroline Laurent
La grande révélation pour moi de cette rentrée littéraire, c’est certainement et incontestablement ce livre ! Je pense même sans exagérer que ça va être mon livre de l’année 2017.
2016, avait été pour moi l’année du “Gang des rêves” de Luca di Fulvio, 2017 sera celle de “Et soudain la liberté” tant le coup de cœur est total ♥♥♥.
Je suis complètement tombée amoureuse de ces 3 femmes (Mona, Evelyne et Caroline) qui ont écrit chacune à leur manière ce livre d’une étourdissante générosité et sensibilité.
Quelle drôle histoire que la vie !
Adolescente, j’avais dévoré “Le bal du gouverneur”, vu le film. Je cherchais déjà des réponses à mes questions tout azimut, des réponses pour la femme que je voulais ou croyais vouloir devenir et l’histoire racontée par Marie-France Pisier me paraissait proche de ce que je connaissais de celle de ma mère (et qui plus est, celle-ci lui ressemblait beaucoup physiquement), mais surtout j’étais très intriguée par le portrait de sa propre mère. C’était l’époque où je cherchais une femme qui pourrait me servir de modèle pour me construire. Je n’ai pas su chercher ou plutôt j’ai fini par penser que ce n’était si important d’avoir un modèle à suivre, je pensais pouvoir faire sans.
J’ai grandi dans la nostalgie d’une ancienne colonie française à laquelle mes grand-parents ont dû renoncer, dans un fantasme de liberté, de soleils brûlants et d’odeurs exotiques enivrantes qui ont peuplé mon enfance, un ailleurs où l’on courrait pieds nus avec l’odeur entêtantes des orangers et des épices, des peaux brunes et des mouvements alanguis racontés par ma mère qui s’est ensuite sentie en exil partout où le ciel n’était plus assez grand et le soleil plus aussi chaud que là-bas. Coincée entre la froide rigueur d’une éducation bourgeoise et intellectuelle et un fantasme coloré et insaisissable de liberté exotique, je peinais non seulement à savoir qui j’étais mais aussi à trouver ma place. J’enviais mes petits camarades pour qui tout semblait si clair, origines et histoire familiale. Je n’avais qu’un guide, celui de ne pas reproduire les erreurs de ma mère, une femme qui n’a jamais vraiment réussie à être libre, prisonnière de son enfance et de son paradis perdu tout comme de l’homme qu’elle aimait (ce dont je lui en ai beaucoup voulu). Elle était mon contre modèle mais je n’avais pas de modèle et j’ai navigué à vue jusqu’au naufrage.
Par quelle ironie ou magie de la vie, 20 ans plus tard j’ouvre ce roman sans rien soupçonner de ce qu’il va me révéler. 20 ans mis entre parenthèse comme en suspension à essayer de rentrer dans une vie qui ne me ressemble pas. Je pourrais dire qu’il est trop tard mais les regrets ne servent à rien, demain et surtout aujourd’hui sont seulement importants. Mais j’ai trouvé dans ce livre beaucoup de ces réponses que j’espérais depuis longtemps, ou du moins leur confirmation.
J’espère néanmoins avoir su dépasser mon histoire personnelle, pour apprécier ce livre à sa juste valeur
Comment résumer un livre, une histoire aussi dense où la grande Histoire se mêle à celle de cette famille et à l’histoire des femmes ?
Hanoï 1945, Mona a suivi André, l’homme qu’elle aime et qu’elle a épousé, en Indochine où il est administrateur colonial. La vie y est douce, loin de la seconde guerre mondiale et de l’occupation allemande. Elle a 22 ans quand Paris est libéré des allemands mais là-bas dans sa colonie, la France continue de se battre contre les japonais. Hanoï est attaqué et l’ennemi va retenir Mona et sa fille, Lucie,, dans un camp de concentration pendant plusieurs mois. Le pire sera tu, Mona qui n’est encore qu’une enfant ne pense qu’à protéger sa fille. Il faudra attendre les deux bombes d’Hiroshima et Nagasaki pour que la guerre cesse. Pour la famille Desforêt qui s’est retrouvée à la sortie des camps, c’est le retour à Nice dans la famille de Mona. Mais André pense déjà à repartir, il attend un nouveau poste, et au grand désespoir de Mona il est renvoyé en Indochine à Saigon. Les Viêt Mings qui luttent pour l’indépendance du Vietnam gagnent du terrain, l’incendie du marché local annonce la défaite française (1950), Mona est enceinte, il est temps de quitter définitivement l’Indochine. Même Tibaï, la douce nourrice de Lucie s’est rebellée contre le comportement despotique d’André. Lucie quitte de mauvaise grâce ce pays qu’elle aime tant. La famille part s’installer à Nouméa en Nouvelle-Calédonie où André a obtenu une place. La vie est à nouveau douce dans la verte et turquoise Nouméa, dans cette villa aux oiseaux perchée sur une colline, mais les relations entre André et Mona basé sur un dangereux jeu de domination et soumission se dégradent toujours davantage malgré la naissance du fils tant espéré. André, ce père qui n’accepte pas la défaite, ce père qui incarne le héros parfait pour sa femme et sa fille est pourtant un pétainiste convaincu, adorateur de Maurras et de Pierre Drieu La Rochelle, qui croit en l’inégalité des races, en ce discours haineux selon lequel ce sont les races qui fondent les rapports humains. Mais son antisémitisme, sa haine des protestants, des homosexuels, des métis, des Kanaks… heurte de plus en plus violemment sa fille Lucie qui grandit sans que celle-ci n’arrive encore véritablement à saisir ce qui la dérange autant dans ce que lui inculque son père.
Pour Mona la vie bascule quand la bibliothécaire de Nouméa lui met entre les mains un exemplaire du “Deuxième sexe” de Simone de Beauvoir. Entre le vertige enflammé suscité par les idées de celle-ci, sa nouvelle amitié libératrice avec Marthe la bibliothécaire communiste et féministe et l’amant qu’elle vient de prendre, Mona se transforme et ne sera plus jamais la même. Adieu soumission ! Elle veut désormais contrôler sa vie, en finir avec la domination despotique d’André, pour elle-même et pour sa fille. Elle passe son permis de conduire, c’est son premier acte de rébellion et c’est plus que symbolique : désormais elle conduira sa vie comme elle l’entend, plus rien ne sera capable de l’arrêter. Pas même l’idée de divorcer.
Pour Lucie qui a toujours cherché à comprendre et à laquelle son père magnifique a toujours opposé à ses questions un laconique : “Tu comprendras plus tard”, le temps des réponses a sonné. A 11 ans alors que son père manipule la religieuse qui l’humilie à l’école pour la contraindre d’obtenir de sa mère qu’elle abandonne l’idée du divorce, elle entrevoit le vrai visage de celui-ci, la raison de tant de haine avec les gouvernantes, pourquoi il a fait punir si sévèrement les actes de Timeo, le caractère pervers des relations qu’entretiennent ses parents et elle va préférer renoncer définitivement à Dieu pour ne pas avoir à faire de choix. Mieux vaut l’enfer avec sa mère si celle-ci y est condamnée par les Cieux, que de rester seule. Et puis, grâce à sa mère, Lucie lit et commence à penser …
“On n’a qu’à dire que Dieu n’existe pas”
“Renoncer à Dieu a été la chose la plus difficile que j’ai eu à faire dans ma vie”
A 15 ans, scolarisée en France, les cours d’histoire et la photo du père de sa meilleure amie, rescapé des camps de concentration, lui feront mesurer toute l’horreur de ce que son père lui a inculqué. L’empire paternel, le héros, tout s’effondre, tout ce qu’elle sait est à revoir.
Solidaires, les deux femmes engagées dans tous les combats pour la liberté, de la révolution cubaine à mai 68, aux droits des femmes, pour l’avortement, le planning familial, la libération sexuelle, les homosexuels … vont grandir s’inspirant l’une et l’autre
Le suicide de Mona a 66 ans, cette femme révoltée qui s’est battue pour sa liberté, cette féministe engagée depuis 30 ans qui a préféré mettre fin à ses jours que de devoir renoncer à sa beauté, à son pouvoir de séduction et au désir des hommes, va profondément choquer sa fille.
“A cinquante, cinquante-cinq ans, aucune femme n’est plus désirable”
Comment accepter de perdre ainsi la personne que l’on aime le plus au monde ?
Pour Evelyne/Lucie, cette histoire ne devait pas mourir elle voulait la raconter, raconter l’histoire de sa mère, et à travers elle, la sienne mais il fallait en faire un roman. Caroline Laurent est éditrice, elle va pour l’occasion devenir co-auteur avec celle qui devenir son amie. Le cancer va l’emporter avant que le livre soit achevé mais Caroline avait promis : elle terminerait le livre malgré sa douleur, malgré ses moments de doutes, malgré la peur que ce livre ne soit pas celui qui a été rêvé.
En tout cas, il est celui qui m’a touché au cœur.
Un livre qui est un exemple parfait du pouvoir magique de la lecture qui est celui d’ouvrir les yeux de celui qui tâtonne dans l’obscurité.
Dans la vie réelle, on ne sait pas par quel miracle, Mona est tombée sur “Le deuxième sexe” mais cette rencontre va bouleverser sa vie concrètement et celle de sa fille par ricochet. En lui demandant de la suivre lors du divorce, elle va non seulement la soustraire à son père qui ne comptait pas en faire une intellectuelle mais elle va la pousser à faire de longues études pour assurer son indépendance, tout comme elle lui interdira de toucher aux tâches ménagères.
Au delà de l’histoire de Mona et Lucie, on mesure l’impact phénoménal qu’a eu ce livre de Simone de Beauvoir et les transformations sans précédents qui ont pu voir le jour grâce à la diffusion de ses idées et l’action des féministes. Comment après une telle lecture, ne pas avoir envie de s’intéresser à ce livre que l’on a tendance aujourd’hui à oublier ?
Ce livre va non seulement la libérer mais va l’entraîner à vouloir en faire plus, à être de tous les combats féministes comme Lucie s’enthousiasmera pour la révolution cubaine et les combats pour la liberté des peuples. Avoir un père antisémite et raciste, ça laisse des traces …
Mais Mona c’est aussi toute la complexité de l’âme féminine : la difficulté de faire cohabiter l’irrépressible volonté d’indépendance et d’émancipation et les faiblesses de l’amoureuse. C’est un combat permanent, un arbitrage incessant qui la fera parfois revenir sur ses pas malgré tout ce qu’elle sait d’André et de la nécessité de se garder de la domination masculine. L’amour était à la fois son moteur et sa prison. Je crois que cette phrase résume très bien à elle seule ce qui se passe pour de nombreuses femmes.
« Comme il est difficile de faire tomber un homme que l’on aime »
Elle sera beaucoup plus clairvoyante pour sa fille, l’empêchant de faire les mêmes erreurs quand le cas se présentera.
Mais je ne vous dévoile pas tout de leur histoire sinon vous n’aurez plus de surprises à la lecture et ce serait vraiment dommage !
La principale difficulté pour nous autres femmes n’est pas d’apprendre ou de transmettre un modèle mais d’échapper à une certaine soumission qui est, d’ailleurs, le plus souvent inconsciente car tellement bien intégrée. Qui n’a pas couru/ ou ne court pas après l’aliénant fantasme de la femme parfaite pour ensuite se plaindre d’une charge mentale exorbitante qui ne lui laisse plus guère de marge de manœuvre pour ses propres choix et sa liberté ? Pourtant nous demander/suggérer d’être parfaite n’est rien d’autre qu’une manière détournée que de nous soumettre à de nouvelles règles d’assujettissement beaucoup plus pernicieuses car non écrites.
D’ailleurs en dehors du modèle de la femme en couple qui assume tout, point de salut. La femme au foyer n’est pas socialement reconnue et celle qui s’assume sans conjoint et enfants est toujours « vendue » comme une pauvre célibataire à la Bridget Jones ou une castratrice ou dévoreuse de mâles qui fait peur aux hommes. Bien pratique pour faire passer toutes les couleuvres qui vont venir gonfler la charge mentale féminine.
Le plus incroyable c’est qu’il est encore difficile aujourd’hui de trouver des modèles de femmes à la fois fortes, libres, indépendantes, HEUREUSES et AIMÉES sans qu’on nous agite l’horrible épouvantail d’une inéluctable solitude à assumer. Celle qui est aimée est toujours celle qui se sacrifie pour les autres et nous autres, femmes du 21e siècle, continuons de perpétuer la transmission de ce modèle.
En attendant de voir émerger les héroïnes d’un féminisme nouvelle vague ou pas, je ne peux que vous conseiller de ne pas faire l’impasse sur ce magnifique livre solaire sur les femmes, la liberté, la transmission entre femmes et qui est aussi un très beau livre sur l’amour maternel.
Et les photos ci dessous dénichés sur internet, c’est cadeau ! Si vous avez l’œil, vous pouvez même reconnaître plus qu’Evelyne/ Lucie … Mais pour les comprendre, il va falloir lire le livre
Source ©https://www.cigars-connect.co
Source : ©Huffingtonpost
2 Comments
cyril
« comme il est difficile de faire tomber un homme que l’on aime »
je n’ai pas lu le livre mais cette phrase m’interpelle, car si elle était peut-être vrai à l’époque du livre, aujourd’hui elle ne l’est plus…
Aujourd’hui, j’aime ma femme, ma femme qui m’aimait elle aussi, la mère de ma fille, la femme de ma vie, mon âme soeur, ma lumière. Et pourtant elle part. Le quotidien, les coups de la vie, lui on fait perdre cette faculté de croire en nous et son amour pour moi. Elle part, me laisse seul, et je suis plus bas que terre, en quelques phrases, en quelques actes, le monde s’effondre, mon monde s’effondre.
comment peut-il être si facile de briser une famille d’un trait de plume? Je ne sais pas, mais briser un homme que l’on aime, c’est apparemment très simple, et ça fait très mal…
Emma
Dans l’histoire Mona est profondément amoureuse de l’homme avec lequel elle vit mais il est autoritaire, emporté, antisémite, raciste, rien n’existe en dehors de qu’il pense et il ne laisse pas de véritable liberté de choix à sa femme et sa fille sur leurs propres destinées. Quand elle dit « qu’il est difficile de faire tomber un homme que l’on aime » c’est par rapport à ses idées qui sont inacceptables pour elle et qu’elle ne partage pas mais son amour pour lui est irraisonné. Il lui faut accepter que les idées d’André n’en font pas un homme qu’elle peut aimer, accepter de le faire tomber dans son estime, dans son amour.
Je comprends votre désarroi. Perdre la personne que l’on aime, c’est effectivement voir son monde s’écrouler. Cela ne vous consolera pas mais c’est une douleur que nous traversons tous à un moment ou même plusieurs fois dans notre vie. Mais on survit et puis un jour on aime à nouveau même si l’on pensait que ça ne serait pas possible. Et puis, parfois la personne aimée revient, la vie est pleine de surprises. Mais surtout il ne faut pas vous enfoncer dans la douleur, elle fait fuir et vous rendra amer, ce n’est pas une amie. Prenez le temps de faire le deuil, c’est long mais on y arrive et profitez-en pour vous occuper de vous, pour développer vos centres d’intérêt, vos passions, devenir la belle personne que vous êtes et qui mérite d’être aimée… et laissez faire la vie, elle vous surprendra et puis vous surprendrez celle qui vous a quitté, c’est aussi une jolie revanche, non ? 😉