La guérilla des animaux – Camille Brunel
Roman contemporain bousculant notre vision du monde et militant pour l’urgence d’un véritable droit pour les animaux et la nécessité de reconsidérer notre façon de vivre.
Thème : condition animale, droit des animaux.
Sommaire
Résumé de l’éditeur
Comment un jeune Français baudelairien devient-il fanatique de la cause animale ? C’est le sujet du premier roman de Camille Brunel qui démarre dans la jungle indienne lorsqu’Isaac tire à vue sur des braconniers, assassins d’une tigresse prête à accoucher.
La colère d’Isaac est froide, ses idées argumentées. Un profil idéal aux yeux d’une association internationale qui le transforme en icône mondiale sponsorisée par Hollywood. Bientôt accompagné de Yumiko, son alter-ego féminin, Isaac court faire justice aux quatre coins du globe.
2 adjectifs qui résument le livre
Violent : C’est le parti pris de l’auteur pour à la fois choquer les consciences et mettre en perspective notre propre violence à l’égard des animaux. Il fallait un Issac extrémiste que plus rien n’arrête pour pouvoir mettre en scène et retourner cette violence (si bien « dissimulée »dans nos sociétés dites civilisées) contre les hommes eux-mêmes.
Poignant : Pari gagné ! Car impossible de refermer ce roman sans être bouleversé. On le sera à des degrés divers selon ses propres croyances et certitudes face à nos nécessités alimentaires, selon celle de notre toute puissance et de ce que l’on veut bien croire ou pas de la réalité de la souffrance animale. Mais pourrez-vous éviter d’être ébranlés par toute cette douleur que nous leur imposons et regarderez-vous encore ce morceau de viande dans votre assiette de la même manière ?
Ce que j’en pense
Ce livre est un électrochoc nécessaire pour tous ceux qui pensent encore qu’il n’est pas nécessaire de remettre en cause non seulement notre façon de vivre mais aussi notre vision du monde.
Les gens persuadés que l’humain se sauvera lui-même sont des mangeurs d’animaux. Ils se mentent au sujet de l’origine de la viande comme au sujet de tout le reste. Comment peuvent-ils affirmer que nous avons encore une chance de faire machine arrière ? Pour la beauté du geste ? Combien de preuves leur faut-il que le plus beau geste, désormais, n’est plus d’espérer, mais de sauver ce qui reste ?
Tout ce que recherchent les médecins, c’est fabriquer un humain capable de survivre aux particules fines, aux ondes électromagnétiques et à l’ingestion de ce que vous avez acheté dans cette boite. En voulant guérir la pandémie de cancer provoquée par nos conditions de vie, vous voulez élaborer un homme-rat capable de survivre au tas d’immondices que ses pairs ont fait du monde, rien d’autre.
Pour ceux qui pourraient s’attendre à un roman « bisounours » prônant l’amour des animaux, vous êtes loin du compte ! Camille Brunel (qui est aussi critique de cinéma) a puisé dans celui-ci le concept de son roman. Isaac dégomme tout sur son passage dès lors qu’on touche aux animaux, il a fait le deuil de son empathie envers les humains. C’est un roman violent, extrémiste, ultra documenté et décomplexé. Il fallait un personnage extrémiste pour pouvoir pousser le propos et la logique jusqu’au bout.
“Vous prétendez défendre la Nature et vous débarrasser des civilisations, mais sans le monde que vous détestez, vous seriez mort depuis longtemps.”
“Sans les chercheurs, les ingénieurs, les centrales, vous n’auriez eu droit qu’à l’écologie stupide des poètes, celle qui laisse mourir phtisique avant d’avoir trente ans. Impossible de rétorquer : il sembla plus honnête à Isaac de reconnaitre qu’il n’existait pas d’issue non violente à un tel débat. Quel que soit le point de vue qui l’emportait, le résultat ne ressemblait toujours pas au bonheur. Peut-être que l’hypocrisie qui lui avait permis de manger de la viande pendant deux décennies lui avait aussi permis d’imaginer qu’il pourrait faire autrement que de tout détruire. Peut-être se nourrissait-il encore de l’optimiste saignant qui voulait qu’on finirait bien par trouver un compromis.”
La violence d’Isaac sert alors à mettre en perspective celle que l’on exerce envers les animaux. Isaac la retourne contre les hommes et là subitement, elle parait intolérable. Le chasseur est froidement tué alors même qu’il allait lui-même abattre sans aucun état d’âme une tigresse qui mettait bas. On juge cela violent pourtant ces deux vies se valent, on a juste été éduqués pour penser que celle de l’humain vaut plus que celle de l’animal et pour pouvoir le tuer sans aucune justification. Il y avait alors pour Isaac une même logique pour supprimer l’homme.
D’ailleurs si on pousse le raisonnement plus loin (et Camille Brunel ne s’en prive pas), la disparition de l’homme pourrait être la seule issue pour que la planète et les animaux s’en sortent car nous sommes l’espèce la plus nuisible qui vit sur celle-ci et nous ne le réalisons même pas. Partout où l’homme passe, il laisse une empreinte dévastatrice.
Ce roman presque surréaliste, s’il n’était pas si réaliste, est complètement ancré dans les courants de pensées actuels des animalistes et le réel. Il est le constat glaçant de l’ultra violence des abattoirs, de la mise en esclavage des animaux, de leur maltraitance, de leur massacre pour notre consommation. Comme celui de l’extinction régulière, exponentielle et finalement définitive des espèces qui nous menace à très court terme et à laquelle nous allons devoir faire face si nous ne bougeons pas.
Bouger ce n’est plus seulement s’abstenir, c’est la première évidence mais c’est aussi reconstruire. “Tant que nous ne ferons pas trop ce ne sera pas assez” dit-il On a trop attendu, trop abîmé pour essayer de seulement moins faire. Aujourd’hui il faut changer de paradigme, le vieux monde n’a plus cours mais la transition est plus que difficile. C’est aussi cette violence que le livre exprime, celle de devoir changer complètement “sa recette de vie”pour qu’une nouvelle civilisation émerge, comme le spécifie l’auteur.
Ce roman qui n’est pas toujours facile à lire (surtout dans sa deuxième partie) car surfant par moment avec le fantastique, est extrêmement documenté, d’une richesse incroyable, et très visuel (on reconnait l’héritage cinématographique de l’auteur) et nous offre à travers le road trip mortifère d’Isaac un tour du monde de la condition animale qui nous fait blêmir devant ce qu’il nous révèle : le massacre quotidien d’animaux qu’ils soient sauvages, sur terre, en mer ou enfermés dans des lieux bien trop exigus, qu’il s’agisse de zoos ou d’élevages industriels, sans que personne ne s’émeuve.
“Regardez ces vaches au pied des éoliennes. ce sont des pubs.”
“Tout ce que nous consommons de “vache” ne vient pas des bienheureuses que nous voyons depuis les rails : celles-là font office de vernis. Dites-moi, où sont les agneaux ? Dans la plupart des restaurants on trouve autant d’agneau que de bœuf. On ne les voit pourtant nulle part. C’est que pour eux, on ne se donne même pas la peine d’entretenir la mascarade.”
Le parallèle a d’ailleurs déjà été fait auparavant avec la Shoah ou l’esclavagisme et l’auteur ne fait que le reprendre. Il est parfaitement saisissant et nous interroge. Enfin pour ma part, c’est le cas !
“…Ce que je dois te dire ne peut que t’écraser si tu l’écoutes comme il faut. Les humains sur Terre se comportent comme des nazis en territoire occupé. Comme eux, nous nous sommes voués à étendre notre espace vital, élisant quelques races supérieures (grands félins, grands singes, que l’on choie tant qu’on peut) et jetant l’anathème sur les autres, massacrés sans état d’âme –veaux, vaches, cochons,poules, canards… Les camps d’exterminations n’ont rien inventé : il existait depuis cent ans des usines à tuer qu’on appelait “baleiniers”, Auschwitz flottants qui souillaient et sillonnaient les mers avant que les hommes se disent qu’ils pouvaient en fabriquer pour leurs semblables aussi. Les Etats-Unis étaient des plaines de bisons dont il ne reste rien. Nous nous comportons comme des envahisseurs en temps de guerre, et sommes sur le point de gagner.”
Notre porte de sortie serait enfin d’accorder des droits aux animaux, de les considérer comme nos égaux et de cesser de les utiliser et de les consommer pour notre bien-être comme nous avons réussi à le faire pour les peuples que nous avions esclavagisés parce que nous les considérions, eux-aussi, comme des sous-espèces.
Quand Montaigne ou Rousseau s’interrogent sur la possibilité que les indigènes d’Amérique soient leurs égaux, ils parlent ainsi de créatures qui leur ressemblent, mais qui ne savent pas le dixième de ce qu’ils ont eux, appris.
Il en va de même pour les animaux et les sociétés primitives. Les relations qu’ils entretiennent au sein de leurs communautés ne sont ni moins complexes, ni moins développées que les nôtres. Seulement différentes. Alors quand on hésite à accorder des droits aux animaux, je ne vois que de la mauvaise foi. On leur refuse l’égalité parce qu’on s’imagine qu’ils ne savent pas autant de choses que nous, qu’ils ne le pourront jamais, mais la question n’est pas là. D’abord parce qu’ils en savent peut-être plus, sans nous le communiquer. Ensuite, parce que je me moque bien de savoir ce qui est possible en matière d’égalité. Je veux que ce qui est juste, là, maintenant, au moment où j’existe.”
…Tout ce qui peut souffrir doit être protégé et tant pis si, finalement, certaines créatures s’avèrent moins dignes que d’autres de ce que la loi leur accorde (c’est bien le cas de certains humains). Ce pari vaut mieux que la prétendue vérité qui consisterait à dire que, non, les animaux ne peuvent pas être aussi heureux que nous…
Je l’ai déjà écrit ailleurs mais je pense que Camille Brunel nous livre ici un des romans qui marquera un point de rupture dans la littérature entre ancien et nouveau paradigme en faisant brutalement entrer la question de la cause animale et de son urgence dans le domaine général et non plus dans une littérature quasiment exclusivement réservée aux véganes ou animalistes, à l’instar de “Règne animal” de Jean-Baptiste Del Amo qui avait déjà ouvert à sa manière une brèche sur le sujet.
Bref ! Ce conte philosophique doit être impérativement lu et de toute urgence ! ♥♥♥
A ne pas manquer non plus, ma rencontre vraiment passionnante avec Camille Brunel, l’auteur de ce livre dans un très prochain post !
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