L’autre qu’on adorait – Catherine Cusset
Honte à moi, qui ne connaissais absolument pas Catherine Cusset avant d’ouvrir ce livre (elle a déjà quand même publié une douzaine de titres! ). “Défaillance” littéraire qui va rapidement être comblée vu que depuis cette lecture, je suis devenue une véritable fan
Sommaire
“L’autre qu’on adorait” pour résumer :
Thomas aime la vie, il l’aime même avec exubérance et frénésie. Pourtant cet homme brillant, rate inexplicablement plusieurs fois le concours de l’Ecole Normale Supérieure alors qu’il était l’un des élèves les plus brillants de sa Khâgne. A 23 ans, il décide donc de partir aux Etats-Unis où il réussit à intégrer la prestigieuse université de Columbia. Pourtant Thomas continue de se disperser, n’arrive pas à terminer sa thèse, ne publie pas les articles que l’on attend de lui. Il gâche systématiquement ses opportunités professionnelles et du côté de ses amours, ce n’est pas plus brillant.
Catherine Cusset relate dans ce roman la lente descente aux enfers de celui qui fut d’abord son jeune amant avant de devenir l’un de ses amis les plus chers. Celui là même qui lui confiait un jour, être parfois sujet à des crises de mélancolie, mais dont la vitalité débordante ne pouvait laisser présager la gravité de cet aveu. Jugé tout autant fascinant qu’épuisant, personne n’imagine que derrière ce caractère passionnel, parfois excessif, se dissimule une terrible faille qui va peu à peu l’engloutir. D’une intelligence aigüe, tour à tour charmant, séducteur, expansif et sans limites, Thomas enchaine les hauts et bas professionnels et amoureux et s’isole. L’alcool et la drogue sont déjà devenus des refuges quand on lui diagnostique tardivement une dépression dû à sa bipolarité.
Est-il supportable d’échouer quand on est trop brillant ?
Thomas vit tout plus fort. C’est un hypersensible, tout est décuplé : ses passions, ses échecs, ses espérances, ses amours, ses amitiés,sa soif d’apprendre, sa façon d’appréhender le monde qui donne forcément le tournis au lecteur comme à ses amis.Car peu sont ceux qui peuvent résister à son irrépressible séduction mais ils sont également peu à pouvoir supporter longtemps ses excès. Thomas est forcément inadapté et il croit avoir trouvé ce qui lui convenait aux Etats-Unis alors que c’est justement ce système qui lui a donné une seconde chance, qui va l’enfoncer. Thomas ne peut s’empêcher de se saborder, de s’éparpiller dans un système qui ne pardonne rien. Il se retrouve pris au piège du “publish or perish” pour assurer sa carrière universitaire, incapable de publier comme on l’attend de lui, obligé de cacher sa maladie qui loin de l’excuser donnerait au contraire une raison supplémentaire de l’écarter, courant sans cesse après un emploi pour assurer sa couverture sociale alors que sa santé se délite, sans compter une histoire de cœur, la plus interdite qui soit, avec une étudiante ou ses maladresses sociales à répétition qui rendent sa situation complètement intenable. Au delà de la maladie, ce roman montre aussi la dureté du système américain qui enferme peu à peu Thomas ne lui laissant plus aucune porte de sortie, le repli vers la France lui apparaissant, en plus, impossible tous ses diplômes étant américains.
Ce livre est certainement le livre qui m’a non seulement le plus bouleversé mais qui s’est aussi inscrit le plus profondément en moi ces derniers mois. Probablement à cause de Thomas, le personnage principal. Probablement aussi parce que ces alternances de mal être et de fulgurantes envies de vivre et d’apprendre, c’est quelque chose qui m’est familier. Thomas c’est un peu mon frère ou certainement un homme que j’aurais pu aimer. D’ailleurs c’est le sentiment qui me reste en refermant le livre, le désespérant sentiment d’avoir perdu un ami. Thomas était l’ami de Catherine Cusset auquel elle rend hommage dans ce livre, pour qu’il en reste une trace quelque part mais c’est aussi un livre témoignage sur la bipolarité, cette maladie responsable de nombreux suicides.
Triste, bouleversant mais pas plombant. Catherine Cusset a su trouver la manière d’aborder ce sujet sans tomber dans l’apitoiement ou le désespoir et en faire un roman lumineux grâce à la vitalité incandescente de Thomas, son insatiable faim de vivre et d’apprendre, son esprit joyeux, brillant et bouillonnant.
“C’est à cela que j’ai pensé à l’instant où mon frère m’a appris ta mort : qu’il y aurait moins de rire sur la terre.”
Un style serré qui donne un vrai rythme au roman et qui a fait de moi une nouvelle lectrice-fan de cette auteure que je découvre avec ce livre. On aurait pu craindre l’écriture ennuyeuse d’une normalienne trop érudite pour savoir nous conter quelque chose qui nous parle mais au contraire ! Je découvre une auteure bien ancrée dans son époque avec une écriture impeccable, contemporaine et décomplexée.
Un roman qui fait également la part belle aux références musicales et littéraires (le titre du roman est lui même tiré d’une chanson de Léo Ferré, en référence à la passion de Thomas qui était fou de musique )… On ressent à la lecture de ce roman, une sorte d’émulation intellectuelle. On se dit que la culture c’est quand même drôlement chouette et sexy, loin des clichés poussiéreux que cela peut véhiculer. On se sent un peu plus intelligent ou en tout cas,on ressent l’envie d’être un peu plus curieux. J’ai à nouveau l’envie de tenter la lecture de Proust et de poursuivre cette découverte des grands jazzmen entamée il y a quelque temps déjà, puis oubliée… En résumé au delà du roman, de l’histoire de Thomas (mais aussi celle de l’auteure qui lui est intimement lié) et de la bipolarité, c’est aussi une ode à la littérature, la musique, le cinéma, à toutes ces choses qui nous font nous sentir plus vivants.
L’impression laissée par ce livre ? A la fois un immense vide car on aurait quand même bien aimé le connaitre ou le rencontrer ce Thomas et l’envie de profiter de la vie. car c’est là l’un des paradoxes de Thomas : d’avoir disparu mais de faire partie de ces êtres qui nous font nous sentir plus vivants et nous donnent l’envie furieuse de vivre et d’en découvrir davantage.
Un livre qui ne laisse pas indemne et un pari réussi pour Catherine Cusset qui a réussi à inscrire Thomas au sein de cette littérature qu’il affectionnait tant.