Les petits garçons-Théodore Bourdeau
Premier roman sensible, à la fois douloureux, tendre et drôle sur la traversée de l’adolescence et sur l’amitié.
Thème : Enfance, adolescence, apprentissage, amitié, études, douleur de grandir.
Sommaire
Résumé de l’éditeur
C’est l’histoire de deux amis qui traversent ensemble l’enfance, puis l’adolescence, et qui atterrissent à l’âge adulte le cœur entaillé.
C’est l’histoire d’un jeune homme maladroit, le narrateur, un peu trop tendre pour la brutalité du monde, mais prêt pour ses plaisirs.
C’est l’histoire d’un parcours fulgurant, celui de son ami Grégoire, et des obstacles qui l’attendent.
C’est aussi l’histoire d’une société affolée par les nouveaux visages de la violence.
C’est enfin une histoire de pouvoir, de déboires et d’amour.
Mais avant tout, c’est l’histoire de deux petits garçons.
Théodore Bourdeau signe un premier roman enlevé, à l’humour réjouissant, qui entremêle la douceur de l’enfance, les erreurs de jeunesse et le nécessaire apprentissage de la vie.
2 adjectifs qui résument le livre
Photographique : car ce roman colle véritablement à une époque, celle des bouleversements intimes mais qui sont forcément liés à ceux tout aussi violents d’une société en constante mutation et en proie à sa propre recherche d’identité.
Émouvant : par la force du lien qui unit ces deux personnages capables de dépasser la différence de leur évolution pour se comprendre, par les failles qu’ils révèlent et cette innocence et naïve confiance qu’ils ont en leur avenir.
Ce que j’en pense
Pour une fois, je trouve que la quatrième de couverture résume très bien à elle seule tout ce que contient ce livre. Et les raisons pour lesquelles on va l’aimer !
Parce que l’enfance et l’adolescence, c’est ce qui construit l’adulte que l’on devient. On a tendance à voir cela comme une continuité mais ne cesse-t-on jamais d’être cet enfant et cet adolescent-là ?
J’ai tendance à considérer que devenir adulte est un leurre, une construction imaginée par nos sociétés pour nous obliger à intégrer un système qui n’a rien de réjouissant. Au final on n’y sera confronté qu’à des déceptions et par le jeu d’un cynique paradoxe, toutes les joies et les bonheurs qu’on y rencontrera nous en paraîtront d’autant plus exceptionnels. Quitter la magie de l’enfance où tout est jeux et possibles, pour le monde abrupt et violent de l’adulte, avec ses règles (où justement le jeu disparaît), est le lot chacun, mais chacun y fait face différemment. L’un des personnages (Grégoire) l’a complètement intégré et va même se priver d’enfance pour gagner ce monde plus rapidement car la vie est une compétition et plus vite on y entre, plus on a de chance, croit-il, d’y trouver sa place. Alors que pour sa part le narrateur “traînasse” en chemin, cherche un sens qu’il ne trouve pas, observe, bataille avec son manque de conviction ou d’investissement, son attirance obsessionnelle pour les filles/femmes, son besoin de tendresse, ses maladresses irrésistibles.
La confrontation avec l’échec est inévitable car elle fait partie de l’apprentissage sauf que rien ne nous y prépare alors pour ces deux amis elle est particulièrement douloureuse.
Et c’est d’autant plus douloureux que l’un comme l’autre, ils souffrent d’une absence totale de lâcher prise. Tout est sous contrôle, parce qu’il FAUT se trouver le plus RAPIDEMENT mais aucun n’arrive à s’accepter comme il est: parce qu’il y a l’admiration paternelle à gagner ou parce que les interrogations, la timidité, le manque de confiance en soi n’engendrent qu’une sourde frustration de ne pas réussir à être un autre que soi. L’un veut à tout prix se distinguer et se singulariser, quand l’autre ne rêve que de se fondre dans la masse, d’être cool, accepté.
Roman d’apprentissage à la fois émouvant avec une petite musique mélancolique mais dont l’humour n’est pas absent (la scène du discours du mariage de Grégoire est absolument irrésistible !) ou encore photographie d’une époque chahutée/bousculée par le manque de repères, l’urgence, la surconsommation, l’apparition d’un nouveau terrorisme mais aussi une nouvelle façon de faire de l’information dont l’auteur n’est absolument pas dupe. Ce roman lucide nous ramène doucement à ce qui est essentiel : l’amitié et cette tentative d’être heureux malgré tout.
J’ai aimé ces deux personnages presque antagonistes, qu’une solide amitié nouée dans leurs plus jeunes années arrive à garder soudés. Grégoire, le trop bon élève qui s’applique à travailler chaque domaine de sa vie avec le souci de la performance et d’une constant recherche d’érudition, m’a tout de même épuisé.
Deux personnages qui se polarisent sur des centres d’intérêt diamétralement opposés (l’un ses prestigieuses études et son érudition, l’autre sur son pouvoir de séduction ) et pourtant ça marche. Car on a beau se préparer du mieux possible à la vie, rien ne se passe jamais comme prévu. Car des mauvaises décisions on en prendra toujours, quoi qu’il arrive.
“Grégoire semblait sous le choc, prêt à autopsier son propre fiasco, comme s’il pouvait encore le corriger. Au fond il avait pris une mauvaise décision, entouré d’une assemblée de collèges pleutres. C’était commun, cela arrivait tous les jours, dans tous les bureaux du monde.”
“Certains ont toutes ces qualités, mais un jour, sur un coup de malchance, sur une injustice, ils perdent tout…”
“Tu vois, moi je pensais qu’il n’y avait que les études, le travail, le labeur. Apprendre et emmagasiner un maximum de choses, suivre les règles pour franchir les paliers les uns après les autres. J’ai fait tout ça avec application et j’étais heureux de le faire. J’ai pris goût à essayer d’être le meilleur”. Une pause. Et juste avant qu’elle ne se transforme en malaise : “Qu’est-ce que j’ai loupé, franchement ? Qu’est-ce que j’ai mal fait ? où est-ce que je n’ai pas été à la hauteur? Pourquoi tout a foiré comme ça ?”
“N’oubliez pas que votre parcours académique ne vaut rien. Il ne vaut rien tant que vous n’avez rien accompli, tant que vous n’avez pas échoué, tant que vous n’avez pas découvert la valeur du compromis.”
Plus jeune, Grégoire avait choisi la toile de Hans Hartung par raison alors que son cœur penchait pour la petite reproduction d’un tableau de Valtat, ce choix est celui de l’inclinaison qu’il voulait donner à sa vie, certain qu’il s’agissait là d’un bon choix, d’une juste façon de penser puisque c’est celle de ses parents. La question de se faire plaisir ou de se rendre heureux a été effacée au profit de ce qui est un meilleur “investissement”, tout comme le sont ses études. Un destin méthodiquement préparé qui pourtant va soudainement se dissoudre et dont il va falloir encaisser les désillusions.
Adultes, nous n’étions plus que ces petits garçons en voie d’épuisement. Vraiment, rien ne s’était passé comme prévu”.
“J’ai été un petit garçon qui menait une existence paisible, douce, sans complications. Parfois je jouais à la vie des grands, avec des décors et des scénarios qui devaient ressembler à l’idée que je me faisais de l’âge adulte”.
“De là où je l’observais aujourd’hui, je ressentais une infinie tendresse pour cet enfant qui rêvait d’un destin d’aventures. Sa bonté naïve était bouleversante. Il n’imaginait pas les blessures du cœur, les humiliations, les compromis, les trahisons mesquines, l’angoisse à laquelle on s’habitue, et toutes les peines prochaines qui bourgeonnaient déjà à l’horizon”.
Autre point qui m’a touché dans ce roman, probablement car c’est un sujet qui m’intéresse beaucoup en ce moment, c’est l’ambivalence assumée du personnage principal qui livre les contradictions qui le traversent : son besoin de tendresse, sa nature timide, son mal-être et sa profonde sensibilité tout en étant guidé par cette obsession de séduire et de consommer frénétiquement des femmes qui le fait se comporter de manière complètement maladroite ( à surjouer, à mentir sur son statut pro…) mais aussi peut l’obliger à accepter d’être maltraité. On pourrait rapidement le trouver insupportable mais à l’inverse on le trouve touchant, car sincère et au final, il ne sait ni qui il est, ni ce qu’il désire vraiment mais nos paradoxes ne s’évanouissent pas par magie avec la fin de l’adolescence…
On s’aperçoit d’ailleurs que Grégoire à sa manière, trop occupé à se “construire” parfaitement et malgré son apparente arrogance, n’en sait pas davantage sur lui-même non plus.
Ce roman c’est celui de la traversée de cette adolescence, de ce “mur de feu” comme l’appelle l’auteur, dont les deux amis ne ressortiront pas indemnes.
“L’adolescence avait compliqué cette innocence. Nos premières ambitions se manifestaient, accompagnées de désirs à assouvir. Il avait fallu s’habituer à une certaine mélancolie, accepter d’être pris dans des instincts de violence, commencer à haïr, à jalouser. Sans doute nous aurait-il fallu une main pour nous accompagner dans ce mystère, une méthode, une exégèse de l’âge adolescent. Un précis pour apprendre à traverser tous ces murs de feu.”
Bilan : Un beau premier roman sur la difficulté de grandir, la traversée houleuse de l’adolescence, les déceptions de l’âge adulte. Livre à lire si vous vous sentez nostalgique de celui que vous avez été et pour, peut-être, se poser la bonne question de ses choix pour le futur… ♥♥♥