L’ours – Claire Cameron
Voilà un livre dans lequel je brulais d’impatience de me plonger après avoir achevé “Dans la forêt”.
Vous l’aurez compris, mes lectures sont plutôt orientées “nature writing” ces derniers temps .
Tout l’intérêt de ce roman, c’est celui de partir d’une histoire vraie et d’en avoir fait un roman de fiction. Claire Cameron était monitrice de colonies de vacances dans le Parc Naturel Algonquin ( au Canada) à l’époque où un ours noir a attaqué et tué un couple de campeurs sur l’ile de Bates. Elle a alors essayé de comprendre le pourquoi de cette attaque avant de décider d’en faire un roman en y ajoutant deux très jeunes enfants au travers les yeux desquels on va vivre cette tragédie sanglante.
Anna, 5 ans et son petit frère Alex, 2 ans, qu’elle appelle Stick car il est collant dans tous les sens du terme, partent camper au bord d’un lac, sur l’ile de Bates, dans un parc naturel sauvage. On comprend vite que pour cette famille de 4, comme l’appelle Anna, c’est l’occasion de se retrouver, les parents ayant visiblement des problèmes de couple depuis un certain temps. Mais la joyeuse partie de camping tourne au drame lorsque un ours noir attaque le campement et tuent les parents. Le père aura juste le temps d’enfermer les enfants dans une sorte de coffre glacière, ce qui leur sauvera la vie.
Mais au matin ils doivent affronter seuls la nature hostile sans réussir à appréhender ce qui se passe. Anna a compris qu’il y avait un « grand chien noir » plutôt « inamical » dont il fallait se protéger mais il ne représente pour elle que des odeurs pestilentielle, des bruits et une ombre car c’est tout ce qu’elle perçu des évènements. Elle a bien entendu sa mère crier au travers de son endormissement mais il ne peut s’agir pour elle que d’un cauchemar car la mort ne lui est pas tangible puisqu’elle ne la connait pas. Avant de mourir, sa maman a eu le temps de lui demander de prendre soin de son petit frère et de rejoindre l’autre côté du lac avec lui et Anna qui est une petite fille obéissante va avoir à cœur d’essayer de remplir la mission qu’on lui a confié. On va alors suivre le récit de l’errance des enfants déboussolés avec les mots et au travers de son regard de petite fille. Et c’est là que le bat blesse !
Les faits sont effroyables mais l’innocence d’Anna, qui n’a pas du tout saisi la gravité de la situation, confère un peu de douceur à ce récit, les évènements nous étant dépeints de façon à ce que nous puissions seulement en déduire l’horreur sans avoir à affronter réellement les faits bruts et sanglants. Anna est davantage perturbée par le désordre du campement qu’elle a peur qu’on lui impute, par la disparition de son père qu’elle imagine fâché contre elle, par la boite de cookies qu’elle n’a pas envie de partager avec son frère… Bref, elle est assaillie par de foisonnantes pensées d’enfant et en cela, l’auteure a su parfaitement retranscrire les préoccupations et la façon d’appréhender le monde d’une fillette de 5 ans.
Cependant j’avoue avoir eu des passages à vide et avoir décroché à plusieurs reprises quand la narration s’embourbe dans les pensées d’Anna qui partent dans tous les sens, mélangeant réalité, imaginaire, souvenirs, peurs, rêves et cauchemars et pensées futiles d’enfant. Cet excès narratif ne se justifie pas à mon sens et m’a rendu cette lecture laborieuse par moments. J’ai alors regretté que la narration nous garde captifs de la pensée des enfants qui ne pensent qu’à manger des cookies, à jouer à la poupée Barbie, à faire pipi, à se disputer… alors que leur monde s’est écroulé et que l’on voudrait, en adultes que nous sommes, des informations plus consistantes. Ce décalage propre à l’enfance rend cette effroyable histoire poignante et l’adoucit mais il reste la frustration du lecteur qui subit trop longtemps une situation de flottement, d’insécurité, sans prise de décisions concrètes (puisque les enfants attendent leurs parents) relaté via le désordre des pensées d’Anna qui a pris une part trop importante dans le récit pour ne pas nous perdre en chemin.
Malgré cette petite réserve, je n’ai cependant pas abandonné la lecture car l’histoire reste prenante, captivante, bien écrite et la dernière partie où interviennent les adultes permet de reprendre pied dans le récit et de le clôturer de façon intéressante.
J’ai aimé le parti pris d’en faire un récit qui ne cherche ni à victimiser cette famille, ni à imputer un quelconque vice ou culpabilité à l’ours (celui-ci n’attaquant pas l’homme normalement) mais de prendre celui de respecter, d’accepter la nature dans ce qu’elle a de magnifique et grandiose mais aussi sa part de violence naturelle que nous, les hommes, aimerions lui voir abandonner pour notre confort.
Un roman à lire en tout état de cause, ne serait-ce que pour cette histoire inoubliable et bouleversante.
L’OURS – Claire Cameron – Editions 10/18