Trois heures du matin – Gianrico Carofiglio
48 heures, c’est le temps dont disposent ce père et ce fils à Marseille ensemble, dans le cadre d’un dernier test médical pour Antonio. Deux jours sans dormir en prenant des cachets à base d’amphétamines pour voir comment réagit le système nerveux de ce dernier. Probablement que c’est la première fois que la vie leur offre une telle parenthèse, qui va leur permettre de nouer une relation intime bien plus forte que celle qu’impose le respect habituel des distances entre un père et son fils.
Thème : Roman d’apprentissage, autobiographie, Marseille, maladie, relation père/fils, ivresse, jazz, intimité, Gianrico Carofiglio.
Sommaire
☆ Résumé de l’éditeur
« Antonio est un étudiant solitaire. Son père, un brillant mathématicien. Leur relation n’a jamais été simple. Au début des années 1980, par un après-midi de juin, ils atterrissent à Marseille. Par un malheureux concours de circonstances, ils vont y passer deux jours et deux nuits sans sommeil. Pour la première fois, les deux hommes doivent apprendre à se connaître. Une quête complexe, à l’ombre de la figure maternelle, magnifique mais insaisissable. Leur chemin, sinueux, parfois joyeux, traverse un Marseille hallucinatoire, des bords de mer spectaculaires et des recoins peuplés de créatures nocturnes. Un voyage aventureux et déchirant. Dans une langue précise, capable de saisir les nuances les plus subtiles, Gianrico Carofoglio livre une histoire inoubliable sur le passage du temps, les illusions et les regrets, sur l’amour.” |
☆ Pourquoi lire “Trois heures du matin” de G.Carofiglio ?
Parce que c’est un récit lumineux, teinté de douceur et de nostalgie sur un de ces moments entre parenthèse qu’offre paradoxalement parfois la vie quand on s’y attend le moins et qui permet à un père et un fils de se rencontrer, enfin.
Et puis, pour Marseille ! Une carte postale qui restitue l’incroyable caractère cru et attachant mais aussi la douceur de vivre de cette ville que j’aime tant.
☆ Mon avis
Lorsque j’ai vu le nom de l’auteur sur la couverture, j’ai été immédiatement intriguée. Je n’avais rien lu de celui-ci auparavant mais je me souvenais d’avoir parcouru sa biographie (il y a déjà pas mal d’années) lorsque je me demandais s’il existait des personnes qui luttaient contre le crime et qui réussissaient à être auteurs de fiction. Et pour le coup, j’avais été impressionnée car la biographie de Gianrico Carofiglio parce qu’il avait eu à instruire des affaires dans le cadre de la lutte contre la mafia et qu’il était (déjà à l’époque de mes recherches) un auteur à succès.
Bon c’était une époque où je ne lisais pas/plus, je n’avais donc pas poussé mes investigations au point de m’intéresser à lire un de ses romans (fallait pas pousser ! Comme quoi TOUT change !). Alors j’ai été ravie d’avoir l’opportunité de lire celui-ci grâce aux éditions Slatkine & cie.
D’autant que lorsque j’ai vu la couverture, j’ai plongé ! J’ai commencé ma vie professionnelle en travaillant dans un restaurant sur le Vieux Port. Cette vue (et vie) nocturne fut mon quotidien pas mal de temps. Ce roman a donc ravivé nombre de souvenirs empreints d’une douce nostalgie, plus sûrement que mes dernières balades dans cette ville que j’ai parfois du mal à reconnaître, tant elle s’est transformé. Ça fait du bien de pouvoir revenir en arrière grâce à la magie des mots !
Alors oui vous l’aurez compris, Marseille est l’autre héroïne de ce roman. Massilia, bruissante, vibrante, envoûtante et dangereuse mais aussi accueillante et généreuse derrière l’âpreté de l’accueil que l’on peut parfois ressentir quand on y vit ou que l’on ne fait qu’y passer. C’est cette déambulation que nous offre Gianrico Carofiglio, entre la populaire Canebière, un Panier pas encore devenu bobo, Notre-Dame de la Garde et l’élégante calanque de Morgiou. Marseille est probablement l’une des rares ville qui ait cette âme si particulière, résultat d’un métissage de peuples venus d’ailleurs par la mer qui se fond dans une seule identité “être marseillais” et d’une côte maritime d’une beauté à couper le souffle. On est conquis ou l’on s’empresse de la fuir.
Calanque de Morgiou ©madeinmarseille.net
Si vous vous demandez d’où vient le titre du livre …
Fitzgerald était un grand écrivain et un homme malheureux. Je pense souvent à cette citation de lui : “Dans la véritable nuit noire de l’âme, il est toujours trois heures du matin.”
Pour Antonio et son père, c’est une révélation et un apprivoisement. Comme leur relation pudique et intense. Ces 48 heures que leur offre le traitement de la maladie d’Antonio va leur permettre de se découvrir. Nous sommes toujours des étrangers pour nos enfants et pour nos parents. Antonio est encore un adolescent, presque un homme (et il va le devenir pendant ce court séjour). Il se cherche, quand son père à l’inverse, a oublié ses rêves en cours de route. Lors de ce court séjour, chacun va faire un bout de chemin vers l’adulte qu’il aimerait être.
“- Parfois, je me demande ce que ça veut vraiment dire, être libre, ai-je dit de but en blanc.
– Je crois que la liberté n’existe pas sans un certain degré de risque, d’insécurité. La liberté, c’est un équilibre précaire, c’est n’être jamais tout à fait à sa place.
– J’aime bien cette idée : ne jamais être tout à fait à sa place.
– C’est ce que nous disions, ta mère et moi, il y a des années de cela.”
“- Il y a à peine deux jours, je ne connaissais pas mon père.”
– Et bien ça, c’est Balikwas.”
Pour finir elle explique qu’il faut épuiser la joie quand elle nous surprend car c’est la seule façon de ne pas la gâcher. Elle répète cette expression, à l’évidence très importante, et qui reste en effet gravée en moi : il faut épuiser la joie, c’est la seule façon de ne pas la gâcher, après, elle disparaît.
La scène où le père poussé par le fils monte sur scène dans un club de jazz pour jouer un morceau est particulièrement émouvante. C’est à ce moment là que leur relation bascule dans cette intimité, que par pudeur, chacun évitait de provoquer. Et au passage, on prend une leçon de jazz
“Quand il a terminé, concluant son morceau par deux gammes mélancoliques, des applaudissements chargés de sympathie ont éclaté. J’ai applaudi moi aussi, et j’ai continué jusqu’à ce que je sois certain qu’il m’ait vu, parce que je commençais à comprendre que les équivoques existaient, et je ne voulais pas qu’il y en ait à ce moment-là.”
☆ Bilan
Un livre émouvant, empreint de douceur et de nostalgie. J’avoue que tout au long du récit, je n’ai pu m’empêcher de penser aux livres de Paolo Cognetti. Il y a une similitude de tonalité, quelque chose dans l’écriture, l’exploration de l’intériorité, la douceur, la pudeur retenue mais aussi le partage de souvenirs communs ancrés dans des lieux bien spécifiques, qui m’a donné plusieurs fois la sensation que leurs voix se mêlaient. Est-ce qu’il existerait une sorte “d’âme italienne” qui jaillirait de l’écriture ou alors cela vient-il de la traduction ou encore d’une assimilation inconsciente de mon esprit du fait qu’il partage la même nationalité ? Quoi qu’il en soit, ce livre est à lire si vous aimez les récits intimistes, les romans d’initiation et/ou les romans autobiographiques.
☆ Deux ou trois petits mots sur l’auteur
Gianrico Carofiglio est italien, magistrat, sénateur et écrivain.
Depuis 2002, date à laquelle il publie le très remarqué “Le témoin inconscient”, Guido Guerrieri deviendra le personnage récurrent de ses romans. Depuis, il a écrit une vingtaine de thrillers à succès. Auteur unanimement reconnu dans son pays et traduit dans de très nombreuses langues, ses romans ont été récompensés par plusieurs prix et deux de ses titres ont fait l’objet d’un film. “Trois heures du matin” est son premier roman autobiographique.
Vous connaissiez l’auteur Gianrico Carofiglio ?