Ce qu’elles disent – Miriam Toews
Huis-clos entre 8 femmes violées dans une petite communauté mennonite coupée du monde en Bolivie qui doivent prendre une décision pesée et réfléchie quant à ce qu’elles vont faire. Leurs discussions sont prises en note par l’instituteur, ce qui donne un récit singulier imaginé à partir de faits réels.
Thème : Solidarité féminine, viol collectif, sororité, huis-clos, communauté mennonite, choix, révolte, féministe, faits réels, femmes, résilience, patriarcat.
Sommaire
CE QU’ELLES DISENT – MIRIAM TOEWS
Résumé de l’éditeur
Entre 2005 et 2009, dans une communauté mennonite isolée de la Bolivie, appelée la colonie du Manitoba, du nom de la province du Canada, de nombreuses filles et femmes, le matin venu, éprouvaient de la difficulté à émerger du sommeil. On les avait agressées durant la nuit, et leur corps meurtri saignait. Il s’est avéré que huit hommes de la colonie s’étaient servis d’un anesthésiant vétérinaire pour plonger leurs victimes dans l’inconscience et les violer. Ce qu’elles disent est à la fois une réaction à ces faits vécus, exprimée par le truchement de la fiction, et un acte d’imagination féminine. Dès le petit matin, huit femmes – des grand-mères, des mères et des filles appartenant à la même communauté – gravissent l’échelle qui mène au grenier de la grange. Leurs voix s’élèvent, d’abord hésitantes, puis avec force. Elles se consolent, se taquinent, se font des remontrances, racontent ou discutent tout simplement les unes avec les autres. Peu à peu, nous arrivons à comprendre pourquoi elles se sont rassemblées là. Elles ont quarante-huit heures devant elles pour arriver à une décision qui changera à tout jamais leur vie et celle de leurs enfants. Et c’est à un homme, l’instituteur August Epp, que revient la tâche de consigner les conversations de ces femmes analphabètes. Tour à tour acerbes, drôles et sages, les paroles de ces femmes meurtries oscillent perpétuellement entre la colère et la compassion. Avec ce huis clos, Miriam Toews nous fait toucher quelques vérités essentielles sur l’amour, le couple, les rapports de force qui y règnent et sur la seule manière d’y échapper : la solidarité. |
☆ Pourquoi “Ce qu’elles disent” de Miriam Toews est un livre à lire ?
Pour découvrir cette communauté qui vit hors du temps et des règles de nos sociétés et dans laquelle le paternalisme triomphe.
Parce que c’est un bel exemple de prise en main collectif de leur destin par des femmes que l’on a pourtant pris soin de ne pas éduquer pour être certain qu’elles resteraient toujours sous la coupe des hommes.
☆ Mon avis
J’ai un problème avec ce livre ! Parce que je ne regrette pas de l’avoir lu mais je n’ai pas pris un plaisir affolant à le faire … Le sujet m’attirait fortement et j’avais vraiment très envie de le lire mais très certainement la forme et le moyen par lequel cette histoire est racontée ne m’a pas facilité les choses. Néanmoins je suis allée au bout et je suis contente de l’avoir fait, non pas par “devoir de terminer”, d’abord parce j’avais envie d’en connaitre la fin et aussi parce que cette histoire (vraie) est intéressante. Elle l’est d’autant plus que j’ai eu la possibilité d’aller écouter l’auteure grâce à Babelio et que c’était très émouvant.
Un livre que je mettrais d’ailleurs personnellement dans ma liste des livres sélectionnés pour le prix “Femmes prodigieuses” (section domaine étranger) en raison du courage qu’il a fallu à Miriam Toews pour dénoncer cette violence coutumière à l’encontre des femmes mais tue au sein de sa propre communauté, comme méconnue à l’extérieur. Comme elle le dit elle-même, elle a de la chance que la communauté mennonite à laquelle elle appartient, et dont elle est exclue (puisqu’elle a dû rompre avec celle-ci pour aller faire des études à l’Université) soit pacifiste, sinon elle serait morte. Néanmoins elle a dû se heurter à leur rejet, à leur silence, à leur violence pour écrire ce livre. Mais son histoire personnelle est complètement liée à cette communauté, ce qui rend légitime ce qui est raconté dans ce livre. Elle sait de quoi elle parle pour y avoir grandit et y appartenir avec sa famille. Son père et sa sœur se sont suicidés très certainement parce vivre au sein de celle-ci comme en être rejeté est extrêmement difficile. Elle a elle-même a traversé une longue période de dépression. Mais il fallait que quelqu’un raconte ce qui se passe réellement dans cette communauté très fermée. Que la violence domestique à l’encontre des femmes y est quotidienne, que le pouvoir est patriarcal domine et que ces communautés estiment pouvoir vivre en exerçant leur propre justice. Il n’y a donc pas d’autorité (en théorie) supérieure à celui qui édicte les règles au sein de celle-ci, donc tout est possible pour assujettir les femmes. Quand Miriam Toews a pris connaissance des faits de violence rapportés dans son livre, elle n’a pas été étonnée, connaissant le fonctionnement des mennonites. Il était plus étonnant que cela soit sorti de la communauté, mais c’est uniquement parce qu’ils avaient essayé de régler le problème entre eux-mêmes en enfermant les coupables dans un endroit fermé mais que cela n’avait pas suffit pour les neutraliser, et qu’il avait donc fallu recourir à la justice traditionnelle. Elle a donc ainsi pu en prendre connaissance et essayer d’obtenir plus d’informations pour écrire là dessus. Pour les personnages elle s’est principalement inspirée de sa famille et de celle de sa meilleure amie, elle-même est l’un des personnages de l’histoire, je vous laisse deviner lequel. Les femmes véritablement agressées n’ont pas voulu lui parler directement mais elle avait une amie sur place qui a pu lui transmettre des informations.
Miriam a imaginé une situation où ces femmes prennent en main leur destin, elles ont deux jours dans ce fenil où elles se réunissent pour décider de leur sort :
Soit elles ne font rien, soit elles restent et se battent, soit elles partent sachant qu’en dehors de cette colonie elles n’ont rien.
Ces 8 femmes qui sont mères, filles, sœurs, amies vont alors faire preuve d’une incroyable résilience, sensibilité et intelligence pour discuter de la situation, argumenter leurs possibilités et leurs choix et se soutenir. Il est de toute façon inacceptables pour celles-ci d’accepter l’idée que ce viol collectif est l’œuvre du malin pour les punir de leurs pêchés, explication qu’on leur a opposé au départ pour exclure la culpabilité des hommes de la communauté. Les responsables ayant été démasqués il leur faut alors décider de ce qu’elles vont faire puisqu’elles risquent d’être obligées de continuer à les côtoyer.
Ona parle. Comme les anciens et l’évêque de Molotschna ont décidé que nous n’avions pas besoin de soutien psychologique à la suite des agressions, puisque nous étions inconscientes au moment où elles se sont produites, sommes-nous obligées ou même capables de pardonner ? De pardonner une chose qui n’est pas arrivée ? Une chose que nous ne pouvons pas comprendre ? Qu’est ce que ca veut dire en gros ? Que « le monde » si nous ne le connaissons pas, ne peut pas nous corrompre ? Sommes-nous libres parce que nous ignorons que nous sommes en prison ?
August, qui est l’instituteur rejeté de la communauté, considéré comme un sous-homme est sollicité pour les aider à consigner leurs discussions puisqu’il sait écrire pour qu’il en reste une trace et qui partage malgré qu’il soit un homme, la même condition que ces femmes.
En filigrane, on découvrira ainsi son histoire d’amour et celle de Ona, l’une des 8 femmes.
☆ Bilan
Un récit singulier pas toujours évident à lire mais qui révèle au grand jour la réalité de cette communauté qui se dit pacifiste et dans laquelle la condition des femmes qui sont maintenues dans l’analphabétisme est d’être communément l’objet de violences. Une belle histoire de solidarité et sororité féminine, d’intelligence collective de ces femmes auxquelles on refuse pourtant toute éducation et qui vont prendre en main leur destin malgré les hommes ♥♥
Est-ce que c’est une lecture qui vous tenterait malgré sa forme ?
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