Un paquebot dans les arbres-Valentine Goby
Savez-vous, ce qu’est un tubard ?
Une personne qui souffre de la tuberculose.
Et en 1952, se faire appeler tubard, c’est l’équivalent d’une insulte, être catalogué paria pour cause d’une maladie qui va vous isoler du reste du mode pour éviter l’effet contaminant de celle-ci.
Mathilde est à l’école lorsqu’elle découvre à travers les mots, la réalité de ce qui touche ses parents et qui va lentement les amener à tout perdre. Pourtant en 1952, la Sécurité Sociale est nait, le vaccin contre la tuberculose a été découvert. Mais à cette époque la peur est toujours là car rare sont ceux qui sont déjà vaccinés. Et pour cette famille, qui vit loin des grandes villes et de l’information du vaccin et qui sont des travailleurs indépendants pour lesquels la Sécurité Sociale n’a rien prévu (seuls sont concernés les salariés), se soigner, c’est non seulement perdre ses revenus mais c’est aussi s’endetter pour se soigner.
Si les livres d’histoire décrètent la fin de la peur en 1944, ils taisent aussi tous ceux que cette révolution sociale oublie et pour lesquels la maladie reste une tragédie.
La famille Blanc tient le bar local “le Balto” à la Roche, et tout tourne autour de la personnalité solaire et imprévoyante de Paul, le père, qui l’harmonica visé aux lèvres anime joyeusement les lieux. Mathilde voue une admiration sans bornes à ce père qui ne la voit pas et lui préfère sa jolie sœur ainée. Elle est son “petit gars”, celle qui brave tous les dangers, les défis, pour essayer d’attirer à elle son attention même si c’est au prix d’une raclée.
Et puis, la maladie frappe à la porte du Balto, Paul est malade, on ne veut pas mettre de mots sur ce mal étrange, on parle de pleurésie. Mathilde comprend “poumon qui pleure” mais les clients désertent rapidement l’établissement, les parents doivent vendre le Balto et s’établissent en face pour monter une presse librairie. Seulement l’enfant des nouveaux propriétaires attrape la tuberculose, Paul ne peut plus cacher sa maladie et ils sont obligés d’aller s’établir dans un autre village pour fuir la rumeur locale hostile. A partir de là, s’enchainent le combat pour survivre financièrement, la faillite et la nécessité du sanatorium d’Aincourt pour se soigner. Annie, la sœur ainée, infirmière, est partie faire sa vie, alors que Mathilde ainsi que son jeune frère Jacques sont confiés à l’assistante sociale et placés séparément dans des familles d’accueil.
Mais Mathilde fugue et rend visite à ses parents au sanatorium. Elle continue à collecter des mots qui mis bout à bout lui permettent peu à peu de construire une histoire familiale enfin compréhensible (pleurésie/tuberculose/sanatorium/dettes/hypothèque). Et elle se bat. pour obtenir son émancipation, pour gagner un peu d’argent pour survivre, pour passer des diplômes, pour pouvoir récupérer son frère, pour s’occuper de ses parents. Et peu de mains se tendent pour l’aider, même sa sœur traverse cette histoire de loin, comme si elle n’était pas concernée.
Un roman tragique et qui serait plutôt plombant si la personnalité lumineuse de Mathilde adolescente ne venait pas illuminer. Quel courage que celui de cette jeune fille qui non seulement perd tout mais se retrouve en charge d’elle même et de ses parents. C’est ce qui m’a le plus touché ou même révolté, c’est l’autre drame celui de cette petite fille dont personne ne se préoccupe mais sur laquelle tout le monde compte pour les tirer de situations catastrophiques. Mathilde se retrouve parent de ses propres parents à un âge où il aurait été logique qu’ils soient présents pour elle. Mais sa mère est tout dévouée à son amour pour son époux et celui-ci fait peu cas de “ce petit gars” qui est pourtant la seule à venir les voir. Mais Mathilde est résiliente et même si l’envie de fuir cette vie la tenaille, jamais elle ne se défile. Jusqu’au jour, où elle comprend enfin, que si elle veut espérer vivre, avoir des projets, elle doit aussi être égoïste et ne pas s’en sentir coupable.
Au delà de l’histoire de cette famille, il y a aussi la Grande Histoire : celle de la naissance de la Sécurité Sociale, des découvertes scientifiques, ces formidables avancées que l’on regarde aujourd’hui comme parfaitement normales alors que le milieu du 20e siècle n’est pourtant pas si loin. On réalise à peine quelles situations vivaient ceux qui avaient l’infortune de tomber malade et combien on faisait peu de cas des familles que l’on séparait sans se préoccuper de psychologie. Ce livre rappelle mieux que tout autre cette réalité au travers de la tragédie de cette famille comme il met en lumière ce que les livres d’histoire taisent, tous ces hommes, femmes et enfants, qu’une loi sociale a complètement ignoré, tous ces petits drames humains que la Grande Histoire a effacé.
Un livre à priori difficile mais que je ne regrette absolument pas d’avoir ouvert. C’est découvrir à la fois un morceau de notre histoire et ce fameux sanatorium d’Aincourt (cet immense paquebot dans arbres), construction architecturale pharaonique autour de laquelle on planta quelques 73 hectares de pins des Vosges (pour en apprendre davantage vous pouvez lire l’excellent article sur le patrimoine du blog http://foucart.net/2009/09/15/journees-du-patrimoine-il-faut-sauver-aincourt/) où l’on isolait à l’époque les malades souffrant de tuberculose et aujourd’hui totalement abandonné. Par ailleurs, le solaire personnage de Mathilde donne de l’oxygène à ce récit qui pourrait vite sembler étouffant mais se révèle au contraire émouvant.
Sanatorium D’aincourt : le paquebot dans les arbres