La chair -Rosa Montero
Roman contemporain sur la femme, le vieillissement, le désir, le sexe.
Thème : vieillissement de la femme, le désir
Sommaire
Résumé
Soledad (qui porte bien son prénom car elle est seule), 60 ans, décide (pour rendre jaloux son amant de 20 ans plus jeune qu’elle, qui l’a quitté) de prendre un gigolo, Adam, pour se rendre à un opéra où elle sait qu’elle rencontrera ce dernier. Seulement rien ne se passe comme prévu et aux détriments des règles élémentaires de ce genre de rencontre, elle invite ce dernier chez elle.
A partir de là, va installer entre eux une curieuse relation que Soledad ne sait plus comment nommer : est-ce une relation amoureuse alors qu’elle paye encore souvent celui-ci ? Ou alors a-t-il des intentions cachées la croyant riche ?
Coincée entre l’exposition qu’elle doit organiser en tant qu’historienne d’art et dont elle risque de se faire déposséder par une jeune architecte ambitieuse et manipulatrice, son amant tarifé et sa sœur Dolores internée qui lui rappelle sans cesse que la folie la guette à tout moment, Soledad se débat avec ses doutes, sa peur de vieillir, son refus de renoncer au désir.
2 adjectifs qui résument le livre
Troublant : Par le trouble qu’apporte Adam, ce gigolo dont on ne comprend pas toujours la motivation, la raison d’être de ses agissements envers Soledad
Touchant : Car derrière la “bataille” que mène Soledad pour récupérer d’abord son jeune amant, puis de payer ce gigolo qui s’installe d’une certaine manière dans sa vie, ses difficultés professionnelles dans une société patriarcale où l’on doit dépendre du bon vouloir d’hommes manipulables par des femmes plus jeunes et plus arrivistes, on sent la détresse mais aussi le refus de se rendre d’une femme qui vieillit.
Ce que j’en pense
Si nous sommes condamnés à vieillir, sommes-nous pour autant condamnés à renoncer au désir ?
Pour Rosa Motero, 67 ans, la réponse est clairement non !
Celle qui s’est fait tatoué récemment dans le cou “ni pena, ni miedo” , (“ni tristesse, ni peur”) un vers du poète chilien Raúl Zurita, il est hors de question de renoncer au désir.
Au départ, je m’étais dit que ce livre allait être à rapprocher de celui de Camille Laurens “Celle que vous croyez” où une femme de 50 ans sombrait dans une sorte de folie parce qu’elle estimait devenir transparente aux yeux des hommes à cause de son âge et entreprenait de séduire via les réseaux sociaux un homme en se faisant passer pour une jeune femme.
Mais c’est mal connaitre Rosa Montero ! Et tant mieux ! Car ras le bol de ce discours réducteur sur la femme et son âge. L’âge n’est que ce qu’on en fait ! Et beaucoup de femmes sont leur propre bourreau à l’instar du personnage de Camille Laurens, en renonçant d’elles-même à l’idée de séduire, prisonnière de l’idée véhiculée par cette société et par les médias que nous n’avons plus droit à une vraie vie amoureuse une fois une certaine date de péremption atteinte et se renferment sur elles-même se privant affectivement . Caricaturant aussi les hommes en estimant qu’ils n’aimeraient que les femmes plus jeunes, objet de valorisation. Me viennent en tête les mots de Olivia de Lamberterie sur cette question de l’âge dans un edito du journal Elle : “Je ne me sens dégringoler en rien du tout” car c’est bien de chute dont on nous parle alors qu’en réalité il n’y a que celle que l’on consent à faire. Restons active, curieuse de tout et des autres, ouverte, joyeuse au lieu de nous auto-scléroser dans notre coin.
Pour autant ce roman est énigmatique tout du long car on ne sait pas vraiment à quoi s’attendre. Qui est en fait ce gigolo avec lequel Soledad entretient une drôle de relation tarifée et parfois non ? Mon côté irrémédiablement romantique aurait presque voulu croire à une histoire d’amour mais en même temps c’était quand même pas très crédible et puis pas le genre de Rosa Montero qui entretient le suspens jusqu’au bout sur la véritable nature de ce qui les unit.
En tout cas, elle appuie là où ça fait mal : La difficulté pour les femmes de vieillir et de devoir renoncer à séduire, à faire l’amour, de ne plus être tout dans le regard de l’autre.
“Peut-être le lecteur pensera que Soledad devrait se résigner, qu’il faudrait qu’elle mûrisse et qu’elle tente d’accepter son âge, comme nous le faisons pratiquement tous; et je dois reconnaitre que, dans un premier temps, elle-même pensa que cette attitude serait la plus sensée.”
Mais Soledad, est une femme de son temps, la soixante triomphante, urbaine et passionnée par son métier de commissaire d’exposition, elle tente de mettre sur pied un projet d’exposition autour des écrivains maudits et n’a pas l’intention de laisser sa place. C’est l’occasion pour Rosa Montero de souligner également la rivalité qui existe entre les femmes, celle-ci se retrouvant aux prises avec une jeune arriviste qui tente de s’accaparer son projet en mettant dans sa poche celui qui veille au financement de l’exposition. Tout comme elle fera remarquer que les inégalités homme/femme sont partout puisque même un gigolo coûte plus cher qu’une prostituée.
Cette femme est quête d’amour depuis l’enfance, qui n’a plus qu’une sœur jumelle au prénom également prédestiné Dolores (Douleur) enfermée en institut psychiatrique met toute son énergie pour tenter d’échapper à la folie à laquelle elle pense être prédestinée mais aussi pour rester vivante charnellement.
“Qu’est-ce qui était le pire, que l’on ne vous ait jamais aimé ou bien que l’on ne vous aime plus ? Soledad grinça ses dents pour ne pas crier. La deuxième situation était bien pire, bien plus douloureuse et insupportable.”
Je ne vous en dis en dit pas plus pour ne pas spoiler ce roman car même si la fin n’est pas totalement surprenante, on y arrive un peu déboussolé, oscillant entre la crainte de ce qu’Adam se révèle un être sans scrupule, voire dangereux et l’envie de voire Soledad s’extirper de ses nombreuses angoisses et trouver un “port” où se poser.
Ce n’est pas un roman inoubliable et puis peut-être que cette question de l’âge n’en sera plus une le jour où on arrêtera de se focaliser dessus mais j’ai trouvé intéressant (et surtout inspirante) l’énergie avec laquelle Rosa Montero, qui a le même âge à peu près que son héroïne (67 ans), continue d’envisager la vie et sa relation aux hommes :“Pourquoi se rendre ? Et pourquoi nous rendre ? Franchement je ne veux pas me rendre ! Jamais ! On peut tomber amoureux à tout âge, il y a des hommes et des femmes qui tombent amoureux à 90 ans et c’est merveilleux ce qui leur arrive. Franchement je pense ne jamais jeter l’éponge ! Il ne faut jamais cesser de désirer !”
Un roman qui me donne envie d’en découvrir davantage de cette auteure ♥♥
2 Comments
ayok57
Je ne sais pas si je le lirai un jour (j’en ai tellement déjà à lire) en sachant que le synopsis est super intéressant.
Ce livre a, je pense, au moins le mérite de traiter un sujet un peu « tabou ».
Et bien que n’ayant « que » 38 ans, je suis tout à fait d’accord avec le fait que ce n’est pas parce qu’on a 60 ans qu’on est condamnée à ne plus avoir de plaisir ou de désir, bien au contraire même il me semble! A nous de ne pas écouter les injonctions sociétales 🙂
Emma
Oui c’est tout à fait ça et j’adore cette femme au delà de l’auteure, elle est tellement dans la vie sans peurs, ni tabous comme tu dis.
Après je comprends parfaitement que tu ne puisses pas tout lire XD !
Mais à 38 ans tu as un peu de marge, celui-là il peut attendre un peu, quoique je trouve que c’est bien de se mettre en tête dès le « départ » que la vie affective, sensuelle et sexuelle d’une femme n’a pas de fin. Ma tante qui a 70 ans est un bel exemple à ce sujet là ! J’adore discuter avec elle et tu lui donnes 20 ans de moins, je pense que ça vient de là, de son état d’esprit qui a gardé le reste dans la même dynamique. Et bien sûr son dernier petit copain à 55 ans ;-). On n’a pas besoin de viagra nous les femmes, en fait c’est nous qui sommes avantagées, j’ai jamais compris pourquoi on faisait croire que ce sont les hommes qui vieillissent le mieux, car la réalité est toute autre, ce n’est qu’une apparence…