A la ligne – Joseph Ponthus
Pour ce premier roman, ”A la ligne”, Joseph Ponthus a reçu une pluie de prix dont le Grand prix RTL- Lire et le prix Eugène-Dabit du roman populiste (je ne savais même pas qu’il existait un tel prix !).
Le titre ne m’interpellait pas vraiment mais à force d’en voir passer des critiques dithyrambiques, je me suis dit qu’il serait peut-être bon d’y jeter un œil pour me faire ma propre opinion.
Inutile de vous dire que j’ai eu raison !
Thème : Premier roman, usine, littérature, intérim, précarité, travail à la chaine, monde ouvrier, abattoir, Joseph Ponthus.
Sommaire
☆ Résumé de l’éditeur
“A la ligne est le premier roman de Joseph Ponthus. C’est l’histoire d’un ouvrier intérimaire qui embauche dans les conserveries de poissons et les abattoirs bretons. Jour après jour, il inventorie avec une infinie précision les gestes du travail à la ligne, le bruit, la fatigue, les rêves confisqués dans la répétition de rituels épuisants, la souffrance du corps. Ce qui le sauve, c’est qu’il a eu une autre vie. Il connaît les auteurs latins, il a vibré avec Dumas, il sait les poèmes d’Apollinaire et les chansons de Trenet. C’est sa victoire provisoire contre tout ce qui fait mal, tout ce qui aliène. Et, en allant à la ligne, on trouvera dans les blancs du texte la femme aimée, le bonheur dominical, le chien Pok Pok, l’odeur de la mer. Par la magie d’une écriture tour à tour distanciée, coléreuse, drôle, fraternelle, la vie ouvrière devient une odyssée où Ulysse combat des carcasses de bœufs et des tonnes de bulots comme autant de cyclopes. » |
☆ Pourquoi “A la ligne” de Joseph Ponthus est un livre à lire ?
☆ Pour sa forme inattendue (je vous laisse découvrir !)
☆ Pour la manière dont Joseph Ponthus parle de ce monde invisible, de ces vies minuscules, de ces hommes et ces femmes qui se lèvent très tôt, pour lesquels travailler n’est pas un choix mais une nécessité : celle de toucher un chèque à la fin du mois.
☆ J’ajouterais aussi pour la peinture réaliste des entreprises agroalimentaires, pour la manière dont on traite la vie animale et marine pour remplir nos assiettes mais aussi celle de ces hommes ou femmes qui travaillent dans ces usines. D’ailleurs pour moi rien n’est plus choquant que le mot “usine” associé à celui d’alimentation… Suis-je la seule ?
☆ Mon avis sur “A la ligne” de Joseph¨Ponthus
Dire que j’aurais pu passer à côté de ce petit chef-d’œuvre !
Et je dis d’autant plus chef-d’œuvre que ce titre réunit deux choses qui combleront les amateurs de romans sociaux à la Zola : la littérature et la peinture d’une certaine réalité sociale.
Joseph Ponthus , ancien étudiant d’hypokhâgne, a ensuite travaillé une dizaine d’années comme travailleur social. Par amour, il a suivi sa femme en Bretagne. Le travail dans sa branche ne courant pas les rues, il embauche comme intérimaire à l’usine.
Des crevettes aux bulots, de l’essorage de tofu, du poisson pané aux abattoirs, Joseph accepte toutes les missions. Ne rien refuser, ne pas manquer à l’appel chaque matin quitte à se rendre au taf en taxi, s’il n’a pas de covoiturage ce jour-là.
C’est la règle ! Pour que l”agence d’intérim continue de vous confier des missions, il ne faut rien refuser. Joseph nous plonge dans son quotidien, sa fatigue extrême mais aussi ses petites joies.
Les tâches sont rudes, mettent le corps à l’épreuve mais aussi le mental. Les entreprises agroalimentaires ne font pas dans la dentelle, la vie animale et marine est débité, cuite, emballée en cadences infernales, en tonnes et l’être humain n’est qu’une paire de bras, une force de travail que l’usine s’offre.
Alors il reste la solidarité avec les collègues, les heures que l’on compte en chantant, les pauses café/clopes, l’heure où l’on débauchera enfin, les fins de semaine, la grève dont on rêve mais interdite quand on est intérimaire, le bordel qu’on aimerait mettre dans ce foutu abattoir si on n’avait pas besoin d’un job, les repas consolation à la cantine d’entreprise, le chien qui attend derrière la porte et la femme aimée déjà endormie quand il la rejoint.
Les jours se succèdent et ce qui va permettre à Joseph de tenir, c’est la littérature qu’il appelle à la rescousse pour amortir la violence de ce quotidien. Les textes de Trenet ou d’Apollinaire, les chansons populaires, de Barbara et de tant d’autres, les citations ou les livres lus.
Il y a aussi la nécessité d’écrire sur cette réalité pour y survivre, la transformer en quelque chose de plus élevé, lui donner sens et faire comprendre à sa femme ce qu’il vit.
“Si j’avais su
Vingt ans plus tôt
Sur les bancs de l’élite
Prétendue
Que le Père Godot m’aiderait à en rire de tout ça
Vingt ans plus tard
De l’intérim
Des poissons panés
Du bulletin non-dit”
Il vole alors des heures à l’épuisement pour décrire, mettre en mots ce qu’il vit et c’est magnifique. La forme stylistique est originale. Il écrit comme il travaille à la chaîne, sans ponctuation et sans point final, comme ses journées qui se succèdent sans fin.
J’ai écrit en tant qu’intérimaire, ne sachant si j’allais être reconduit dans mes missions, pour consigner cette immense étrangeté ouvrière que je découvrais. J‘ai écrit pour que mon épouse comprenne, un peu, ce que mes mots peinaient tant à lui dire le week-end. J’ai écrit sur Facebook après chaque journée quand je n`étais pas trop ravagé de fatigue. J’ai écrit quand, ravagé de fatigue, il fallait quand même écrire. J’ai écrit en étant sûr d’être renouvelé dans mes longues missions d’intérim.
☆ Bilan de ma lecture
Je l’ai lu quasiment d’une traite !
J’en ai déjà parlé, j’aime beaucoup les livres qui ont une dimension sociale, qui parlent de “ces vies minuscules”, de ceux qui font tourner nos sociétés dans l’ombre.
Cali a eu une phrase très juste dans un de ses romans autobiographiques que je reprend souvent car elle traduit bien ce que je ressens “ je serai toujours du côté de ceux qui perdent”
On retrouve cette même “obsession” de parler de ceux qu’on appelle les “ratés” et de les mettre en lumière chez David Le Bailly (“L’autre Rimbaud”)
Joseph Ponthus entre dans cette famille d’écrivains avec une rare humanité et un talent fou.
J’ai très envie de dire “merci” aux dieux de la littérature de parfois essayer d’essaimer ailleurs que dans la sphère germanopratine.
A lire, tout simplement ♥♥♥
☆ A lire aussi – idées lecture
Impossible de ne pas penser au livre de Léon Cornec “Sortie de rails” que je vous ai présenté, il n’y a pas si longtemps.
Décidément ! J’ai parfois l’impression que sans même le préméditer mes lectures suivent des cycles bien précis car je n’avais vraiment aucune intention de lire du social ces derniers temps.
Après il y a toutes les références littéraires, musicales ou sociales que cite Joseph Pontus (j’aime les livres qui nous entraîne vers d’autres auteurs). Je citerais ici Trenet ou “Le journal d’un manœuvre” de Thierry Metz qu’il nous incite à lire et traite de chef d’œuvre. Pour ma part, je l’ai déjà commandé.
Vous l’avez lu ?
5 Comments
leslecturesdemy
J’avais adoré ce livre
Emma
Oui quelle pépite ! C’est fou que j’ai renâclé autant à le lire parce qu’on le voyait trop 😉
Merci pour ton petit commentaire ♥
leslecturesdemy
Moi je l’ai lu à sa sortie avant de le voir partout . Je l’avais repéré dans l’émission La Grande Librairie
ayok57
Pour ma part ce n’est pas du tout une lecture qui m’attire, très certainement de par le sujet pas très « glamour » (désolée, même si de l’autre côté du prisme je n’aimerais pas non plus lire de livre sur la jet-set…).
Mais en même temps le résumé que tu en fais, avec la mise en page qui a l’air originale, pourrait malgré tout me laisser tenter. Alors on verra bien si ce livre se trouve sur ma route, un jour 🙂 😉
Emma
aha tu m’as fait trop rire avec ton livre sur la jet-set.
C’est vrai que c’est un roman social mais en même temps il y met tellement de phrases émouvantes et pleine d’humanité (mais aussi d’humour) qu’on finit par succomber.
Cela dit moi aussi je n’étais pas tentée, il m’a suffit de lire la première page pour ne plus le lâcher.
Par curiosité, si tu tombes dessus en librairie, ouvre-le et vois ce qui se passe 🙂
Passe de douces fêtes ♥
Je t’embrasse.