Le roman vrai d’Alexandre – Alexandre Jardin
Alexandre Jardin pensait se dynamiter avec ce roman biographique dans lequel il tente de rétablir une vérité qu’il imagine explosive. En réalité, il s’agit simplement d’un réalignement, d’une grande leçon de vie et d’authenticité qui ne pouvait que me parler…
Thème : Vérité, authenticité, être soi, écriture, mensonge, autobiographie
Sommaire
Résumé de l’éditeur
« Ce livre est l’histoire de mes mensonges. Sans doute est-ce le plus risqué que j’écrirai jamais. Il m’est vital. Jusqu’où suis-je allé dans l’aveu ? Je n’ai pris aucun ménagement. Un jour, il faut bien déchirer le voile, rompre avec le comédien et coïncider avec soi. » |
☆ Pourquoi lire “Le roman vrai” d’Alexandre Jardin ?
Parce que tomber le masque est un acte de courage et que son livre nous invite à renouer avec notre propre authenticité, à ne plus nous fuir, à ne plus chercher à vivre comme des personnages car le coût final en est très élevé. Non seulement on est absent à la vie réelle mais cela peut nous coûter la vie.
Si cette question de l’authenticité est quelque chose d’important pour vous, si le poids de ce que vous portez vous écrase, vraiment, je vous conseille de lire ce roman et d’accepter de tomber le masque.
☆ Mon avis
Enfin !! … Oui c’est le seul mot qui me vient spontanément en ouvrant, puis en refermant ce dernier livre d’Alexandre Jardin. Bien sûr comme tout le monde j’ai adoré ses premiers romans avant de me détourner de sa littérature. L’incohérence était trop flagrante entre l’homme qui se présentait devant nous et les histoires qu’il écrivait. Ce qui pouvait être plausible dans la flamboyance de ces 20 ans devenait manifestement une fable fatiguante à laquelle on ne croyait plus. Il respirait la bourgeoisie triste, endormie, repue et conformiste, comment pouvait-on encore y croire ? C’était même une vraie déception de voir cet amoureux insensé qui nous avait fait croire en l’amour toujours réinventé, transformé en triste père de famille embourgeoisé. C’est bien simple, après “Fanfan” j’avais carrément décroché, je ne le lisais plus.
A la sortie “Des gens très bien” j’avais espéré qu’il émergerait quelque chose de nouveau, une faille était enfin ouverte… Par la suite, “Ma mère avait raison” m’avait enchanté en ce qu’elle consacrait une forme de sauvagerie féminine paradoxale, tout en révélant un petit garçon malmené qui tentait de survivre à ses blessures. Mais la conclusion tirée, celle d’un Alexandre Jardin flamboyant redevenant loup à l’aube de la cinquantaine, c’était carrément impossible d’y croire. Est-ce que je me trompais ? J’étais donc particulièrement impatiente de lire le roman qui allait suivre…
Alors oui, quand j’ai entendu que dans ce livre il s’agissait de coïncider enfin avec soi, je me suis dit qu’il me fallait absolument le lire !
On dit qu’on ne devient écrivain que le jour où l’on est capable de plonger réellement au plus profond de soi et d’assumer ses côtés les plus sombres. C’est du moins ma conviction et certainement l’une des raisons pour lesquelles je n’écris pas. Explorer le réel me parait encore aujourd’hui bien plus passionnant que de m’inventer un personnage de papier. Depuis que je rencontre des auteurs je perçois une telle dissonance entre la vie augmentée qu’ils s’offrent sur le papier et l’étroitesse de la leur. Tant de livres me semblent des fuites, des illusions, des règlements de compte avec un réel étriqué dont on n’arrive pas à s’accommoder faute de savoir vivre en grand. J’ai appris à me méfier de ceux qui mettent en scène leur vie, virevoltent dans les excès d’une liberté factice, font semblant de fouiller leurs recoins sombres pour n’en tirer que de l’éclat alors que leur vie est d’une confondante banalité. La littérature permet d’ajouter de la vie à la vie que l’on n’a pas, la réalité est celle-là ! Autant pour le lecteur que pour l’auteur. Alors oui, j’ai lu ce livre avec soulagement ! Enfin une vraie prise de risque ! Enfin un auteur qui parle vrai.
“Et puis je sais qu’un vrai livre doit être un risque inconsidéré. Quelque chose entre la roulette russe, le blasphème et le banco. A chaque ouvrage, ne faut-il pas s’interdire de vieillir ? Et redémarrer en roue arrière.
Bien sûr l’excès est toujours là, dans la forme, dans le mea culpa qui n’en finit plus, dans l’auto-flagellation qui peut mettre mal à l’aise, dans la répétition scandée de vouloir l’authenticité pour soi… Mais c’est pardonnable car cela sonne juste. On ne règle pas les comptes avec soi-même sans un peu de houle et de désordre, le calme s’installe après la tempête. J’imagine sans peine l’état de fébrilité anxieuse qui a pu présider à cette écriture, quand l’impression de s’exécuter le dispute à la certitude que l’on ne peut plus faire autrement car on meure étouffé de ne pas être soi.
Alexandre Jardin reste, quoiqu’il en dise, un être d’excès, il lui faut juste apprendre à l’accepter et à la canaliser dans la bonne direction. Cette créativité exceptionnelle n’est pas à sacrifier, il faut juste lui donner du sens, ou plus exactement un sens autre que celui de dissimuler ou taire ce qui doit être dit.
Je pense à Hemingway, à Romain Gary et à tant d’autres… pour lesquels la fable s’est mal finie. Car on ne s’invente pas un personnage que l’on n’est pas sans qu’il finisse par vous posséder et vous tuer. Romancer sa vie peut se révéler un piège mortifère, notre psychologie déteste les mensonges dont elle s’accommode mal, l’addition nous est toujours présenté un jour ou l’autre, c’est une telle évidence… Alexandre va trimballer son mal-être de roman en roman, plus éclatants les uns que les autres, toute une mythologie familiale joyeuse et rocambolesque pour dissimuler un réel douloureux et sombre, donner du relief à une vie qui ne vit pas, insuffler de la légèreté là où la tristesse règne. Recréer les autres et soi pour échapper à l’insignifiance du réel qu’on est incapable de vivre et d’affronter. Depuis toujours Alexandre Jardin se shoote à l’imaginaire, apprend à mettre en scène une histoire familiale et personnelle délirante dont il devient l’esclave, à combler les vides, les absences, les mots jamais dits et les secrets tus pour survivre. Poétiser sa vie à l’excès pour ne pas la voir. Jusqu’au jour où il se rend compte qu’à force de s’effacer dans sa propre vie, de ne vivre que dans la lumière d’un personnage public qui disparaît dès que la lumière des projecteurs s’éteint, il n’existe pas. Pire sa dissonance devient éclatante aux yeux de ses propres enfants.
Sous couverture Grasset, je me suis offert une généalogie fabuleuse.
les mots vrais étaient impossibles, alors on avait pris chez les Jardin le pli du camouflage et de la haute fantaisie. Celle qui met du rire là où il faut pleurer. Comme si le réel était pour nous depuis toujours tissé d’indicible, saturé d’innommé et de non-audible.
Alors il nous l’explique peut-être un peu trop largement, démonte les légendes construites mais c’est un acte de courage que l’on doit appréhender à sa juste valeur.
Survivant d’un grand chaos, je me suis fabriqué au fil des ans une famille complémentaire qui vit sur mes étagères.
L’écrivain, le vrai, est là jaillissant derrière les mots. La maîtrise de la langue tressée avec un moi profond authentique assumé devrait nous donner à lire de la littérature, des œuvres où le mot liberté d’être ne sera plus un paravent. Et si l’on considère que lorsqu’on abat les murs qui nous enferment, un être véritablement léger et libre s’évade, alors tout est permis, on se met à écrire vraiment au lieu d’écrire ce qui est attendu… J’avoue que j’ai hâte de découvrir la suite.
Les précédents romans resteront de jolies pépites fictionnelles car ils existent en marge de la vie de leur auteur, ils ont pris le large et sont devenus les livres de leurs lecteurs. Finalement peu nous importe ce qui fait qu’ils existent ! Ils ont gagné leur propre existence, il n’en reste que des histoires qui habitent et réenchantent nos bibliothèques. L’auteur passe , l’histoire reste.
Les effets d’une illusion sont réels, Monsieur Jardin. Vous n’avez pas créé mes désirs, vous les avez révélés avec vos livres. et vous l’avez vraiment fait.
☆ Bilan
Un livre que j’ai dévoré qui nous met face à nous même et à nos propres égarements et paradoxes ! Livre à lire si la question de l’authenticité vous interpelle ou plus simplement pour découvrir la véritable histoire d’un des écrivains les plus fantasques et prolifiques de ces trente dernières années. Une grande leçon d’humilité, de courage et d’amour ♥♥♥
Vous aimez découvrir la véritable histoire des écrivains et de leurs romans ?
Cela vous donne envie de vous réaligner avec vous-même ou cela vous parle ?